Au pied de l'oubli
Hélène tout contre lui. Puis, tout simplement, à
l’image de l’amour qui avait grandi entre eux, Hélène et Chapeau se dirent « je
t’aime ». De la manière la plus naturelle du monde, celle dont les gestes à
accomplir surgissent depuis la nuit des temps, portant en eux la semence de
l’éternité. Les yeux au ciel, Hélène souriait béatement. Avec quelle tendresse
Chapeau l’avait amenée à perdre toute répulsion ! Ainsi, la dureté d’un homme
pouvait se révéler de la plus grande douceur, le souffle rauque d’un homme
pouvait devenir une merveilleuse mélodie à notre oreille, le plaisir d’un homme
pouvait être partagé... L’homme pouvait prendre en donnant. C’était cela, le
mystère de la vie. Un acte d’amour, à l’opposé de l’imitationhaineuse que son agresseur avait perpétrée sur elle. Du bout des doigts, elle
caressa le torse de Chapeau. Elle y attrapa le pendentif en forme de croix qui
avait tangué au-dessus d’elle quelques minutes auparavant. Submergée par un
sentiment presque insoutenable, Hélène ressentit avec certitude que Chapeau et
elle venaient de communier à la source divine. Sous le feuillage des arbres,
Hélène aurait pu rester ainsi à jamais. Grâce à Chapeau, le carrousel d’horreur
ne lui donnerait plus autant le vertige. Il tournerait de moins en moins vite et
un jour, un jour, elle le croyait profondément, il cesserait son douloureux
manège. Ne pouvant contenir toutes ces émotions, Hélène se mit à pleurer. Ne
sachant comment la consoler, un peu désemparé, l’Indien se contenta de la serrer
encore plus fort contre lui, lui baisant les yeux, lui caressant les cheveux, se
demandant s’il était la cause de cette grande tristesse. Quand Hélène fut
calmée, elle répondit au regard chargé d’inquiétude de son amant.
— Tu te rappelles-tu de l’été où j’ai été ben malade, v’là trois ans ? chuchota
Hélène.
L’Indien tressaillit. S’il s’en souvenait ? Pendant des semaines, il avait erré
comme une âme en peine autour du chalet à la recherche d’Hélène. Quand, enfin,
la jeune fille avait réapparu, en posant les yeux sur elle il avait su. Elle
avait souffert, elle souffrait... L’esprit d’Hélène avait été bafoué. De ses
bras musclés, il lova son amante tout contre lui. Il l’aimait depuis si
longtemps… Au village, il refusait de courtiser la moindre fille. Pourtant, même
avec sa langue coupée, bien des candidates avaient laissé deviner qu’il leur
plaisait. Quelquefois, il avait été marcher dans la forêt avec quelques-unes,
mais jamais au point d’avoir envie de sculpter une bague de bois afin de
l’offrir à l’une d’entre elles, marquant ainsi sa préférence. Hélène était son
amour.Chapeau respectait le rythme de la nature. On ne change
pas le cours d’un ruisseau. Il avait attendu qu’Hélène soit prête. Son bonheur
était immense que ce jour soit arrivé.
— On a dit à tout le monde que j’étais malade... continua Hélène, c’était pas
vrai... c’est un homme qui m’a... qui m’a... qui m’a prise de force… finit par
avouer Hélène.
Chapeau tressaillit. Non, oh non… La vague de souffrance monta en lui, le
frappant de plein fouet tandis que le drame vécu dans son enfance lui revenait
en mémoire. Non, pas Hélène, non… Il n’avait su la protéger… Comme il avait
échoué envers sa sœur… Les dernières années, il avait cru avoir réussi à oublier
ce jour d’automne maudit... Petit garçon, heureux, il venait de quitter le
village de Pointe-Bleue avec sa famille, en route pour leur territoire
ancestral. La période de chasse allait commencer. Chapeau, de son vrai nom
Maikan, qui signifie « loup » dans sa langue maternelle, adorait ces mois de
froidure à suivre son père, qui lui enseignait patiemment les lois de la nature.
Au tentement, sa mère, sa grand-mère et sa sœur aînée travaillaient fort
à préparer les peaux que les deux chasseurs rapportaient fièrement. Comme tous
ceux de sa tribu, il était né dans le bois. La terre rouge avait teinté sa
chair, la pureté de l’eau des rivières avait clarifié son sang. L’écorce de
l’arbre avait moulé son berceau. La mousse des rochers l’avait langé. Il ne
craignait rien dans la forêt, ni l’ourse protectrice, ni le loup rejeté, ni le
rusé carcajou. Les animaux sauvages ne
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