Au pied de l'oubli
Julianna… Julianna et son patron… Ce n’était pas possible.
Comment réagir ? Comment ne pas se laisser submerger par sa peine ?
Parviendrait-il à oublier ? Est-ce que son mariage allait survivre ?
— François-Xavier, tu vas bien ? s’alarma Henry devant le visage crispé de son
ami.
— Euh… oui, excuse-moi… j’ai… j’ai peut-être un peu trop mangé…
— Tu veux qu’on retourne au chalet ?
— Non, non… on va régler cette histoire de bouleau une fois pour toutes.
— Je m’en serais occupé moi-même, tu sais. Mais ce bouleau est si mal placé… Je
ne vois pas trop comment m’organiser pour ne rien endommager. Sa chute risque de
tout casser !
En silence, François-Xavier scruta les alentours et prit sa décision.
— Une entaille à cette hauteur pis trois bonnes cordes attachées à ces grosses
branches, il n’y aura pas de problème. Les p’tits gars pis toi, quand je vous le
dirai, vous allez tirer en même temps en direction de la forêt. Il va tomber
entre les deux pins à gauche.
Henry courut chercher le matériel et l’aide demandés. Resté seul, envahi par la
tristesse, François-Xavier déposa son front contre l’écorce rugueuse. Il était
comme cet arbre… Probablement que, lui aussi, le prochain coup de vent allait
l’emporter. Il se mit à souhaiter que quelqu’un vienne l’abattre, ce serait plus
simple.
Une main sur son épaule le fit sursauter. Il n’avait pas entendu Julianna
s’approcher. Avec un mouvement de recul, il toisa sa femme. De nouveau, Julianna
eut peine àsupporter la douleur dans les yeux de son mari. Elle
prit une grande inspiration :
— François-Xavier... je... commença Julianna d’un ton suppliant.
D’une voix laconique, il lui coupa la parole.
— Jean-Baptiste va construire un nouveau chalet à Henry.
— Il faut qu’on parle de tantôt... Avec Yves, il ne s’est rien passé...
jamais... J’ai repoussé ses avances... Je n’irai plus travailler au journal, je
ne le reverrai plus…
— Pis je vais travailler avec lui.
— Quoi ? s’étonna Julianna.
— T’as ben entendu.
— Ça veut dire quoi ?
Feignant d’examiner le bouleau, d’un air détaché, il répondit :
— Ça veut dire que je donne mon bleu à la fromagerie.
— Tu m’annonces ça comme si tu me parlais de la pluie et du beau temps !
— Je voulais juste te mettre au courant.
— Me mettre au courant ! François-Xavier...
— Pis je prends deux semaines de vacances entre les deux jobs.
— Des vacances... répéta Julianna, abasourdie.
— Oui, des vacances. C’est ça que tu voulais, non ?
— T’es sérieux ?
— Si tu veux toujours aller en Gaspésie...
— Certain que je veux aller en Gaspésie ! Oh, François-Xavier !
Avec joie, elle enlaça son mari. François-Xavier la repoussa sèchement.
— Laisse-moi tranquille. J’ai un arbre à abattre. C’estbien
pour ça que tu tenais à ce qu’on monte au lac aujourd’hui, non ? À moins que
c’était rien qu’un prétexte…
Julianna passa par toutes les émotions. La peur de perdre l’amour de
François-Xavier, l’impuissance de ne pouvoir le reconquérir et enfin la colère.
Cette dernière la submergea. Elle n’avait rien fait de mal ! Ce n’était toujours
bien pas de sa faute si son patron s’était entiché d’elle ! Si son mari avait
été plus attentionné envers elle, s’il l’avait invitée au restaurant, elle
n’aurait jamais été au bureau la veille. S’il lui avait offert un cadeau digne
de ce nom, elle ne serait jamais partie seule sur la plage, déçue... S’il
n’avait pas juste tourné les talons quand il avait surpris Yves en train de
vouloir l’embrasser ! Il aurait pu intervenir, dire sa façon de penser à
l’autre, il aurait pu se battre... Elle avait la mémoire courte ! Au début de
leurs fréquentations, François-Xavier l’avait avertie. Qu’elle ne s’attende
jamais à ce qu’il quémande son amour, jamais. Eh bien, cela valait pour elle
aussi. Elle n’était plus à la veille de se jeter à son cou, oh non !
— Attention tout le monde, les frères Rousseau s’en viennent bûcher !
Julianna se détourna afin de cacher son désarroi à ses fils. Henry suivait les
quatre jeunes gens.
— Ah, Julianna, dit-il. Nous n’avons pas eu l’occasion de parler encore de ton
fameux projet. Une autre fois,
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