Au pied de l'oubli
rien.
— Allez ma petite, je nous prépare une tasse de café et tu me racontes
tout.
Yvette avait relaté la venue de Laura et son conseil de retourner au
Canada.
Madame Bizier s’était tenu le cœur à deux mains. Elle était si attachée à
Jean ! Elle était comme une grand-mère pour lui. Depuis sa naissance qu’elle en
prenait soin.
— Le Canada, c’est si loin... Je ne le verrai plus jamais...
C’est à ce moment qu’Yvette avait envisagé une autre solution. Fiévreusement,
elle avait supplié sa voisine... de façon provisoire, de...
— Jean est français, et... il vous adore... À Montréal, je ne pourrai pas le
garder, ici, je suis à bout… J’arrive pas à m’en occuper…
Yvette avait récité tous les arguments qu’elle pouvait trouver pour convaincre
madame Bizier d’accepter de prendre Jean sous son aile.
— Ma pauvre enfant... Qu’est-ce que tu me demandes là ?
— Madame Bizier... Si vous saviez...
Yvette avait tu à quelle extrémité son désespoir l’avait presque
conduite.
— Votre plus jeune sœur, celle chez qui je suis allée pour mettre au monde
Jean, elle était si gentille…
— Par la Madone...
— Je vous enverrai de l’argent du Québec, chaque mois !
— L’argent n’a rien à voir !
— Pour le bonheur de Jean alors... avait-elle murmuré.
C’est ainsi qu’elle avait quitté l’Europe, seule.
Au nom du bonheur de Jean.
— Elle répond pas ?
— Non.
— As-tu laissé sonner assez longtemps ?
— Elle doit être sortie.
Vincent Leclerc ne put cacher sa déception. Mathieu se mit à rire.
— Désespère pas, mon Vincent, tu vas finir par mettre le grappin sur ma sœur
Yvette. Il te faut juste être plus patient.
— Patient, patient, ça fait des mois que je lui tourne autour.
— Tu ne sais pas t’y prendre ! Lui écrire un poème toutes les semaines, c’est
assez démodé merci.
— Qu’est-ce que tu connais aux filles, toi ?
Mathieu se figea.
— Je m’excuse... je ne voulais pas dire ça, se désola Vincent.
— Une fois pour toutes, je ne suis pas aux hommes ! s’écria Mathieu, en
colère.
Si Vincent n’avait pas été son meilleur ami, il l’auraitcertainement frappé. S’efforçant de se calmer, Mathieu arpenta le minuscule
salon de son logement.
— Mathieu, c’est juste que vu que tu n’as pas de blonde... ben... Allez,
fais-moi pas la gueule ! Sinon, tu vas la tenir tout seul, ta réunion.
— C’est correct, c’est correct.
Pas question que Vincent le laisse tomber ! Mathieu vérifia à nouveau si tout
était en ordre. Le reste du groupe n’allait pas tarder à arriver. Sur la table
du salon, du papier, des crayons, deux cendriers et une assiette de pain et de
fromages. À côté d’un divan défoncé, dans un gros seau de métal rempli de glace,
une douzaine de bières attendaient sagement que la rencontre commence.
— Si on s’en descendait une tout de suite ? proposa Mathieu.
— Là tu parles ! fit Vincent en décapsulant deux bouteilles. À la nôtre !
ajouta-t-il en en tendant une à son ami.
— Y as-tu quelque chose de meilleur qu’une bonne bière froide ? dit Mathieu
après une longue rasade.
— Une fille chaude ?
— Pauvre Vincent. T’es rendu de plus en plus dépravé.
— Pis toi, tu deviens de plus en plus guindé !
— On va pas encore se chercher des poux ? répliqua Mathieu en souriant.
— Je meurs d’amour, pis toi, tu fais rien pour m’aider ! s’exclama Vincent d’un
ton mélodramatique.
— Je te promets de rappeler chez Yvette tantôt.
— Elle est peut-être en chemin pour venir ici ?
— Peut-être... Écoute Vincent, oublie donc ma sœur, pis cherche-toi une autre
fille.
— C’est Yvette qui me plaît. Dans mon âme, dans mes os, sans repos…
— Ad vitam aeternam…
Vincent se mit à rire.
— Je sais, mes rimettes sont pas mal simplettes. Je ne comprends toujours pas
pourquoi tu insistes pour que je reste cet après-midi.
Mathieu but une longue gorgée de bière. Comment expliquer à Vincent ce qu’il
parvenait difficilement à saisir lui-même ? La présence de Vincent aux
rencontres de poésie le rassurait. Sa personnalité franche et son authenticité
le protégeaient de la dérive de l’esprit, si chère aux poètes.
— Par contre, jamais ils ne se passeraient de ton talent ! reprit Vincent en
donnant une tape amicale sur
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