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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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pièce sombre leur fit du bien à
     tous.
    — Garde les stores fermés pis ouvre la lumière à la place, dit Vincent.
    Mathieu se dirigea vers le comptoir de la caisse enregistreuse et mit
     l’interrupteur en position de marche. Yvette passa devant les rayonnages de
     livres en lisant quelques titres.
    — Maman serait si heureuse ici, dit-elle.
    — Dans notre salon, on avait une bibliothèque à nous tout seuls, expliqua
     Mathieu à son ami. Pour nous instruire, nous faire rêver, nous donner le goût de
     l’aventure, aux dires de notre mère.
    — Chanceux, dit Vincent, chez nous, y avait la bible pis c’est tout. Maman a
     désiré acheter une encyclopédie quand le vendeur est passé à notre porte. Mon
     père lui a interdit de dépenser une cenne noire pour du papier pis des images.
     S’il disait non, c’était non.
    — Le contraire de notre famille, hein Mathieu ! Maman a jamais laissé sa
     place.
    Un livre intrigua Yvette. Elle le retira de l’étagère et le feuilleta
     doucement. Curieux de voir sur quoi son choix s’était porté, Vincent se pencha
     sur son épaule.
    — Ah, Paris… fit-il en déchiffrant le titre. La Ville lumière… Mon grand rêve !
     Ça devait être formidable, de vivre là-bas.
    Avec brusquerie, Yvette referma le guide de voyage et le remit à sa place.
     Vincent étudia la jeune femme tandis qu’elle s’éloignait vers le piano. Que
     cachait-elle ?
    — Je vais chercher de la bière, annonça Mathieu en se dirigeant vers l’arrière
     du magasin.
    Au fond, une porte menait à la ruelle. Mathieu retira leloquet
     et la poussa. À chaque extrémité de la galerie extérieure se retrouvait un petit
     appentis. Celui de gauche était vide, vu que le local lui étant jumelé était
     vacant depuis plusieurs mois. Celui de droite appartenait à la librairie. Sous
     une caisse de bois, Mathieu et Vincent y cachaient de quoi se ravitailler lors
     de leurs séances musicales. En souhaitant que la bière n’ait pas trop souffert
     de la chaleur, il se dirigea vers leur remise. Soudain, il se figea, intrigué
     par un étrange bruit. Il attendit pour voir si celui-ci allait se reproduire.
     Une seconde fois, un genre de couinement se fit entendre. Il revint sur ses pas,
     tendant l’oreille. Cela provenait de l’autre appentis. Il s’approcha tout près
     de la mince cloison de bois.
    — Je t’aime si fort, murmurait un homme d’une voix haletante.
    Mathieu sourit. Ce n’était qu’un petit couple qui s’était trouvé un nid
     d’amour. Il ne fallait pas les déranger ! Mathieu s’apprêtait à s’éloigner quand
     le couinement se reproduisit. C’était une plainte si enfantine…
    — Chut… fit l’homme d’un ton autoritaire.
    Sans savoir pourquoi, Mathieu ressentit le besoin de pousser cette porte
     gauchie et mal fermée. Pouce par pouce, un rayon de soleil suivant la
     progression de l’ouverture, il découvrit ce qui se passait réellement dans ce
     cagibi. Les pantalons baissés, un homme d’âge moyen se frottait contre le corps
     nu d’une fillette. À côté d’elle, une robe et une petite culotte étaient
     soigneusement pliées. Elle tourna la tête vers Mathieu. Dans ses yeux immenses…
     aucune larme. Des yeux d’adultes, trop grands pour un visage d’enfant, des yeux
     qui ont vu quelque chose qu’ils n’auraient pas dû… qu’ils ne peuvent décoder,
     dévoiler, dénoncer. Inerte, la fillette ne cherchait pas à se dérober. Elle
     n’émettait quecette étrange plainte emplie de désespoir. Dans
     l’arbre, une mésange chanta. Surpris dans son plaisir inavouable, l’homme se
     redressa. En sacrant, il remonta son pantalon, bouscula Mathieu et s’enfuit à
     toutes jambes, inquiet d’être poursuivi. C’était inutile, car Mathieu était
     incapable de réagir. Dans sa tête bourdonnait le bruit fracassant des marches de
     métal que dévalait l’agresseur. L’oiseau hurlait maintenant. Comment une si
     petite chose à plumes pouvait-elle émettre un tel cri strident ? Assourdi, se
     bouchant les oreilles, Mathieu se laissa glisser le long du mur. Sans émotion
     apparente, comme une automate, la fillette se rhabilla. Seul le léger
     tremblement de ses mains lorsqu’elle boutonna le devant de sa robe trahissait
     son état de choc. Elle passa à côté de Mathieu. Elle était pieds nus. Se tenant
     à la rampe, avec précautions, elle descendit l’escalier arrière de l’immeuble et
     disparut dans

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