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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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et
     François-Xavier.
    Georges serra les dents et se retint pour ne pas perdre patience. Il détestait
     ces repas en famille auxquels Henriette l’astreignait de participer.
    — Pis votre fille Hélène pourrait venir aussi, reprit-elle.
    Cette fois, Georges ne put contenir un grognement de désaccord. Henriette le
     toisa sans broncher.
    — Souvenez-vous de notre entente, Georges, lui rappela-t-elle.
    Il baissa les yeux. Cette entente datait du jour où il avait fait sa grande
     demande. Il s’était présenté au presbytère, nerveux, un bouquet à la main ;
     Henriette n’avait exprimé aucune trace de surprise en recevant sa proposition.
     Maître d’elle-même, elle l’avait poliment invité à la suivre au salon. Comme il
     s’était senti ridicule tout à coup, assis bien droit, ne sachant plus quoi faire
     de ses fleurs.
    — Euh, c’est pour vous…
    En silence, elle les avait déposées dans un vase avant de venir s’installer sur
     une chaise face à lui.
    En balbutiant, il avait réitéré son offre.
    — Mademoiselle Henriette, voulez-vous m’épouser ?
    À quoi s’était-il attendu ? À ce qu’elle lui saute au cou ? Peut-être pas une
     réaction aussi vive, mais certainement pas à sa question.
    — Vous connaissez la parabole des deux maisons, Georges ?
    — Hein ?
    — Oui, selon saint Mathieu, chapitre 7, versets 24 à 27.
    — Je vois pas...
    — La parabole dit de bâtir sa maison sur du roc, pas dans du sable. Si
     j’accepte votre demande, ça va être pour construire solide.
    — Ah… Je suis ben d’accord, mademoiselle Henriette.
    — Parlez-moi de vous.
    — Je travaille à l’Alcan. Je vais avoir une bonne pension. Vous manquerez de
     rien, lui avait-il affirmé.
    — Parlez-moi de vos deux premières femmes.
    — Pourquoi ?
    — J’épouserai pas n’importe qui.
    — Mais vous me connaissez, mademoiselle Henriette ! Vous faites le ménage pis
     les repas chez moi. Je suis pas un étranger.
    — Je sais même pas d’où vous venez !
    Georges s’était décidé. Il avait commencé par résumer son enfance passée sur la
     ferme de la Pointe-Taillon.
    — Mon père buvait beaucoup…
    — Pas une goutte d’alcool va rentrer dans ma maison, l’avait-elle mis en
     garde.
    — Je vous l’ai juré, mademoiselle Henriette. Je touche plus à la boisson.
    — Bien, continuez.
    — Ma mère est morte en accouchant de Julianna. C’est une de mes tantes qui est
     partie avec le bébé vivre à Montréal. J’ai revu ma p’tite sœur rien que dix-huit
     ans plus tard. Elle a marié François-Xavier.
    — Votre ami d’enfance.
    — Oui, lui pis moi, on était voisins sur la Pointe-Taillon.

Au début, Georges croyait seulement relater les grandes lignes.
     Sans s’en rendre compte, Henriette le questionnant, il avait évoqué beaucoup de
     souvenirs. Il passait du coq à l’âne, ne suivant pas nécessairement les années.
     Il avait décrit Marguerite, sa première épouse, et avait expliqué que la pauvre
     était décédée d’une longue maladie.
    — Des enfants qu’elle vous a donnés, il reste juste votre aîné Jean-Marie,
     c’est ça ?
    Il s’était contenté de hocher la tête. Jean-Marie... le fils qu’il avait
     renié... Cet infirme, ce boiteux, ce Judas. Plus jamais il ne voulait le
     revoir…
    Georges avait raconté son remariage avec Rolande, combien la période de sa vie
     à Saint-Ambroise avait été composée de merveilleuses années. Sa ferme allait bon
     train, il possédait de la machinerie, un tracteur, et même un camion ! Sa maison
     résonnait de rires d’enfants.
    Georges s’était tu.
    — Le reste, vous êtes au courant… avait-il repris d’une voix étranglée.
    Henriette avait appris le terrible incendie qui avait décimé la famille de
     monsieur Georges. C’était d’ailleurs ce drame qui avait poussé le curé à
     proposer à sa ménagère d’apporter son aide à leur paroissien. Ce pauvre homme
     avait tant souffert. Henriette avait pitié de lui.
    — Vous avez dû avoir tellement de peine… avait-elle murmuré.
    Les lèvres serrées, Georges s’était raidi.
    — Un jour, il vous faudra pleurer tout votre saoul, lui avait-elle dit avec
     douceur.
    De toutes ses forces, Georges tentait de se contrôler. Il avait défié du regard
     la ménagère du curé, comme pour lui signifier que jamais il ne s’abaisserait à
     verser une larmedevant elle. Dehors, une soudaine ondée

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