Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
Vom Netzwerk:
apporta ses pantoufles. Lui soulevant les pieds, en silence,
     elle l’en chaussa. Elle retourna à la cuisine terminer de préparer le souper du
     dimanche. Georges se pencha vers le guéridon et attrapa une poignée de bonbons.
     L’après-midi passé au chalet avait été un réel déplaisir. Si Henriette n’avait
     pas tant insisté ! Céder de temps en temps était le prix à payer pour son
     remariage. Il ne remercierait jamais assez le Bon Dieu de lui avoir accordé
     cette dernière chance. Henriette l’apaisait, le soignait, pansait ses plaies.
     Henriette avait accepté de l’épouser. Silencieuse, prévenante, elle veillait à
     son confort. Chaque matin, elle se levait avant lui et lui préparait sa boîte à
     lunch. Quand il revenait de sa journée de travail à l’usine, elle lui apportait
     ses pantoufles et un café chaud. Il n’y avait aucune passion chez la femme. Elle
     dirigeait la maisonnée avec efficacité. Économe, elle avait pris les comptes du
     ménage en main. Chaque sou était bien dépensé. Elle en mettait de côté pourleurs vieux jours. Tous les dimanches matin, à pied, ils se
     rendaient à l’église. Beau temps mauvais temps, hiver comme été, ils remontaient
     la rue de la Fabrique, gravissaient la volée de marches du parvis, trempaient
     leurs doigts dans l’eau bénite, à l’unisson faisaient leur signe de croix, une
     génuflexion et prenaient place sur leur banc. Qu’il aimait l’heure de la messe !
     En mettant les pieds dans la maison de Dieu, une grande sérénité l’enveloppait.
     Ému, il respirait plus profondément, plus lentement... Le poids des années
     s’estompait. Sous la hauteur de la voûte, il redevenait de la taille d’un
     enfant. Parfois, pendant quelques minutes, il fixait la statue de la Vierge
     Marie et il aurait juré que le doux visage de plâtre s’animait et lui souriait ;
     alors, Georges fermait les yeux, recevant cette divine caresse. À d’autres
     moments, traversant les vitraux, cinq longs doigts de lumière s’avançaient vers
     lui et un instant, un court, mais si précieux instant, la main de Dieu entrait
     dans sa poitrine et étreignait son cœur. Pendant quelques battements, Georges
     pouvait penser à sa famille décimée par le feu sans ressentir de souffrance.
     Avec bonheur, il revoyait les visages de ses enfants et de sa Rolande, sa
     deuxième épouse adorée. Tandis que le prêtre leur tournait le dos et ânonnait en
     latin, pour Georges, qui ne comprenait pas un traître mot de cette langue
     sacrée, la litanie prenait des accents de berceuse. Celle que sa mère lui
     chantonnait le soir en le bordant. Tout ce rituel lui donnait le sentiment
     d’appartenir à une famille avec un Père protecteur qui le surveillait et
     l’empêchait de faire des bêtises, dont celle de tendre la main vers une
     bouteille de fort. Réprimer ce besoin de boire était une lutte de chaque
     instant.
    Georges suivait l’office d’un air presque béat que ses voisins de bancs
     jalousaient. À ses côtés, Henriette avaitpeine à cacher la
     fierté que la dévotion de son époux lui apportait.
    — Bon, le repas est dans le four, annonça Henriette en revenant de la cuisine.
     En attendant, voici votre café.
    — Y a assez de sucre ?
    — Comme vous l’aimez, Georges.
    Du bout des lèvres, il goûta son breuvage. Satisfait, il s’enfonça dans son
     fauteuil.
    — Dimanche prochain, reprit Henriette, je pensais inviter à manger votre sœur
     Julianna pis son mari, comme de raison.
    Georges se crispa. Henriette, qui prêchait le pardon et la réconciliation,
     essayait tant bien que mal de reconstruire des ponts entre lui et
     François-Xavier. Georges avait bien peur que la mer de malentendus et de chagrin
     qui les séparait soit trop vaste à franchir.

    — Pauvre Vincent, tu n’aurais pas trop bu par hasard ? s’esclaffa
     Mathieu.
    — Ben non, je ne sais pas ce qui se passe avec cette clé-là !
    Un peu en retrait, Yvette sourit.
    — J’ai dans l’idée que vous avez dû commencer de bonne heure, vous deux. Quand
     je suis arrivée à la réunion, le seau de bières était vide.
    Après trois essais infructueux, Vincent réussit à débarrer la lourde porte de
     bois de la librairie. Après le départ des poètes, d’un commun accord le trio
     avait décidé d’aller y jouer du piano.
    — Après vous, mademoiselle, dit Vincent en s’inclinant avec cérémonie.
    La fraîcheur de la grande

Weitere Kostenlose Bücher