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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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opposée à une telle dépense. Jamais elle
     ne dépenserait un sou pour manger Dieu sait quoi, fait Dieu sait comment, par
     Dieu sait qui ! Elle cuisinerait sa spécialité : le rosbif, le plat préféré du
     curé de Jonquière, qui avait aimablement accepté de se joindre à eux. Dès leur
     retour de l’église, elle avait enfilé son tablier sur son tailleur gris et avait
     servi le dîner à ses invités. Henriette voyait à tout. Même en cette occasion
     particulière, aucune goutte d’alcool n’avait été versée. Cela n’avait aidé en
     rien à égayer l’ambiance. Les convives baissaient le nez dans leur assiette, se
     concentrant sur ce qu’ils avalaient. La cousine d’Henriette s’était éclipsée si
     souvent aux toilettes qu’on avait craint pour sa santé. Le collègue de Georges
     ne cachait pas son ennui et bâillait sans arrêt. En servant de témoin, il avait
     fait sa bonne action.Maintenant, vivement qu’il puisse
     retourner chez lui... Seul le curé de Jonquière faisait la conversation, vantant
     les mérites de son ancienne ménagère, disant à quel point elle serait
     irremplaçable, lui soutirant la promesse d’être invité à manger au moins une
     fois par mois afin de déguster son fameux rosbif. François-Xavier était
     silencieux, Julianna, mal à l’aise. Elle n’approuvait pas cette union. À son
     âge, convoler avec une véritable grenouille de bénitier en plus ! Aucune beauté,
     un corps sans rondeurs, sec, qu’est-ce que son frère avait bien pu lui trouver ?
     Si ce n’est qu’il s’était déniché une servante... avait pensé Julianna en
     observant sa nouvelle belle-sœur verser de la sauce brune sur les pommes de
     terre en purée de Georges. Julianna avait délaissé sa fourchette, n’ayant pas
     d’appétit. Nerveuse, elle appréhendait le moment que son frère choisirait pour
     offrir son cadeau de mariage. À la fin du repas, Georges s’était levé. Il
     s’était raclé la gorge, intimidé tout à coup :
    — Mademoiselle Henriette m’a fait l’honneur de dire oui pis de devenir madame
     Georges Gagné. Je l’ai laissée organiser cette journée pour que tout soit à son
     goût.
    — Vous devrez vous y habituer, mon cher Georges. Je vous ai averti qu’avec
     Henriette, tout marche à la baguette ! avait lancé à la blague le curé.
    La cousine avait gloussé. Le collègue avait à peine souri. Henriette était
     restée de marbre.
    Georges avait repris la parole en s’adressant à sa nouvelle épouse cette
     fois.
    — Je... Je vous ai préparé une petite surprise.
    Une lueur d’incompréhension avait traversé les yeux d’Henriette. Julianna
     s’était levée et excusée :
    — Il y a des années que je ne chante plus, soyez indulgents… Pour vous,
     Henriette, voici Ave Maria.
    Julianna avait inspiré profondément et avait entamé le morceau.
     François-Xavier l’écoutait d’un air admiratif. La voix de Julianna était encore
     plus belle que du temps de sa jeunesse. Une maturité, une certaine rondeur
     l’imprégnait. C’était magnifique ! La cousine d’Henriette avait pris sa
     serviette de table et essuyé une larme. Ahuri, le collègue de Georges était bien
     réveillé cette fois. Georges était fier de son coup. De toute évidence,
     Henriette était ravie d’entendre son chant préféré. Sa troisième épouse était si
     stricte ! Elle avait été inflexible sur le fait de ne pas dépenser pour un
     cadeau de mariage, encore moins pour un voyage de noces d’ailleurs. Georges
     avait essayé de l’amadouer, mais Henriette objectait qu’à leur âge, il n’était
     pas question de perdre un sou pour ces futilités. Ils devaient penser à leur
     vieillesse, qui arrivait à grands pas, comme elle le lui avait fait
     remarquer.
    Quand Julianna eut terminé, on l’avait applaudie chaleureusement. Après le
     repas de noce, personne ne s’était attardé. Georges et Henriette s’étaient donc
     retrouvés seuls, avec un mariage à consommer. Assis dans la cuisine, ils
     gardaient le silence. La ménagère avait tout rangé méticuleusement. Georges
     avait pris son courage à deux mains.
    — Si vous voulez, Henriette... euh, si vous préférez, je peux m’installer sur
     le divan.
    — Georges, je vous ai épousé devant Dieu. Si vous avez bien écouté, je vous ai
     juré obéissance pis soumission.
    — Henriette… je…
    — Il est temps d’aller dormir. Je lave les tasses et je

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