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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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installée au salon et avait sorti sa boîte aux trésors. Celle contenant les
     photos de Jean, les lettres échangées avec madame Bizier et tous les poèmes que
     l’ami de son frère lui avait écrits. Elle les relut un à un. Vincent ne
     réalisait pas à quel point il était bon parolier. Pas un poète nébuleux comme
     ceux de la réunion qui se croient les nombrils du monde avec leurs textes obtus,
     fermés,incompréhensibles. Ces vers ne la touchaient pas. Tandis
     que les mots de Vincent, si simples, si vrais, la ramenaient à l’essentiel. Elle
     imagina la musique qui les revêtirait parfaitement. Vincent avait un tel don.
     Cela aurait été un privilège de devenir sa partenaire, dans la chanson comme
     dans la vie... Comment aurait-elle pu accepter de l’épouser ? Triste, elle
     s’était endormie sur le divan, le sourire figé d’un petit garçon reposant sur
     son cœur. Cette fois, on tambourina distinctement à la porte d’entrée. Au moins,
     ce n’était pas un intrus. Elle hésita. Devait-elle répondre ? Il était passé
     minuit. Elle s’approcha du portique et demanda à savoir qui était là. Soulagée,
     elle reconnut la voix de Vincent. Elle se dépêcha de lui ouvrir. Inquiète qu’il
     soit porteur d’une mauvaise nouvelle, elle s’informa de Mathieu.
    — Ton frère va bien. C’est lui qui m’envoie.
    — Ah bon, et pourquoi ?
    — Parce que… parce que… il m’a dit que si je ne faisais pas un homme de moi et
     que je ne courais pas ici te mettre un peu de plomb dans la cervelle, il allait
     me donner le coup de pied du siècle au derrière.
    — Mathieu Rousseau a dit ça ?
    — Je te le jure.
    Vincent ne mentait pas. Quand il l’avait trouvé, complètement démoralisé par le
     refus d’Yvette, Mathieu lui avait passé tout un savon !
    — Tu vas te lever de ce piano, lui avait-il dit, pis tu vas foncer chez ma
     sœur. Il y a assez d’un Rousseau qui gâche sa vie !
    — Elle a dit non, avait-il répété avec la voix pâteuse d’un homme éméché.
    — Lui as-tu demandé pourquoi ?
    — Pas besoin. Je ne l’intéresse pas. Tu me l’as assez faitcomprendre. Y a rien que moi qui voulais pas le voir. J’ai continué à lui
     écrire mon amour pareil.
    — Je me trompais, Vincent. Aujourd’hui, j’ai pris la peine de vraiment vous
     regarder, tous les deux. J’ai réalisé mon égoïsme. Tu es mon seul véritable ami.
     Je refusais de te partager.
    — Hein ! Ben, voyons donc Mathieu, mon amitié n’est pas conditionnelle !
    — Je le sais, Vincent, je le sais.
    — J’aime ta sœur, Mathieu.
    — Ça aussi, je le sais.
    — Elle a tellement l’air malheureuse, des fois. À soir, quand elle chantait, tu
     aurais juré qu’elle déchirait son âme. Elle a vécu quelque chose de bien
     difficile, c’est certain.
    — Tu crois ?
    — Je pense que cela a un rapport avec Paris.
    — C’est vrai qu’elle n’est plus la même depuis son retour, dit Mathieu d’un air
     songeur.
    — Elle garde tout pour elle. Ma mère était persuadée que partager ses
     problèmes, c’était déjà les régler un peu.
    Les traits de Mathieu se crispèrent. Yvette avait-elle subi, elle aussi, une
     agression ? Il revit la scène du cagibi. Cette petite fille n’habitait sûrement
     pas loin de la librairie. À cette heure tardive, dormait-elle ? Il l’imagina
     dans son lit, avec son regard immense et sérieux, guetter le moindre bruit
     suspect… Combien d’enfants tremblaient ce soir ? Combien n’avaient pour
     veilleuse que les ombres et la peur ; pour berceuse, que les cris et les
     pleurs... Quand l’enfance rime avec souffrance, quand tes compagnes de jeu sont
     la solitude, la rancœur, la méfiance, comment croire au bonheur ? Songeur,
     Mathieu s’assit auprès de Vincent.
    — T’es-tu déjà demandé, commença Mathieu, combien de personnes, en ce moment,
     juste sur cette rue mettons,combien d’enfants, d’hommes ou de
     femmes cachent un terrible secret ? Dans l’immeuble d’à côté, y a peut-être une
     petite fille qui est désespérée…
    — Mathieu, est-ce que ça va ?
    Vincent avait beau avoir ingurgité plus d’alcool que de raison, il avait les
     idées encore assez claires pour s’apercevoir de l’attitude étrange de son
     ami.
    — Allez, dégage de ce piano, fit Mathieu en le poussant de côté.
    Il devait immédiatement composer cette chanson dont les paroles et la musique
    

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