Au pied de l'oubli

pas dit qu’un de mes fils ressemblera à un va-nu-pieds. On s’en
     va, je commence à avoir froid, déclara-t-elle en s’éloignant d’un pas rapide
     vers la voiture.
    Déconcerté par l’attitude de sa mère, Pierre lança un regard interrogateur à
     son père.
    — A l’avait vraiment de la bouette dans la face, expliqua François-Xavier,
     aussi mal à l’aise que sa femme.
    Pierre devina ce qui s’était réellement passé sur cette plage.
    — Votre auto a rien ? demanda-t-il en détournant les yeux, gêné par la
     situation.
    — Non, non, on s’est juste embourbés.
    — Vous êtes rendus, astheure. Restez bien derrière moi, pis on est à la maison
     dans dix minutes ! Viens, Timmy !
    Pierre courut à son camion et partit le moteur. En attendant que son père soit
     prêt à le suivre, en souriant, il semorigéna. Dire qu’il
     s’était fait du mauvais sang pour ses parents, alors qu’ils étaient probablement
     en train de... de... À cause de supposés pressentiments, il avait cru le pire
     arrivé quand eux, ils...
    — Tu te rends compte, Timmy, reprit-il à voix haute, je les ai pensés morts,
     pis eux autres, ils... ils fricotaient sur la plage, à leur âge ! En donnant un
     coup sur le volant, il partit à rire.

    Quand Julianna entra dans la cuisine, son tailleur de voyage froissé, maculé de
     boue, ses cheveux en désordre, Miss Harrington ne put cacher son ahurissement.
     C’était loin de la fameuse belle-mère parfaite ! L’Américaine avait envoyé
     Mélanie s’étendre et préparait un bol de soupe pour le petit Dominique. Elle
     n’eut pas le temps de se présenter que Julianna fonçait vers son
     petit-fils.
    — Comme il a grandi ! Viens donner un bec à grand-maman.
    Pour l’enfant, cette femme était une étrangère. Apeuré, il se réfugia dans les
     bras de Miss Harrington, pleurant à chaudes larmes. Julianna eut une moue de
     déception.
    Pierre et Timmy entrèrent à leur tour, portant chacun une valise.
    — Ils sont vivants, ils sont vivants ! annonça fièrement Timmy avant d’ajouter,
     au grand dam de Pierre :
    — Ils fricotaient sur la plage, à leur âge !
    Julianna eut un hoquet de surprise.
    Pierre ne savait plus où se mettre. Il se racla la gorge avant d’expliquer que
     son père ne rentrerait pas tout de suite.
    — Papa regarde s’il a rien de brisé sous sa voiture, dit-il. Qu’est-ce qui se
     passe avec mon fils ?
    — Il ne me reconnaît pas, se désola Julianna.
    Miss Harrington déposa l’enfant par terre. Dominique courut vers son père et se
     cacha derrière ses longues jambes, examinant la nouvelle venue.
    — C’est ben normal, maman. Ça fait un an qu’il vous a pas vue.
    — L’idée de rester au bout du monde, aussi.
    — Maman, voici Miss Harrington, notre voisine, la mère de Timmy.
    — Oui, celle qui peint des tableaux avec des agates. Excusez mon état, on a eu
     un problème sur la route. Il faut que je me lave et que je me change.
    Elle s’adressa à son fils :
    — Montre-moi ta salle de bain.
    Pierre hésita.
    — Euh... y en a pas, avoua-t-il.
    — Pas de salle de bain...
    — Où est Mélanie ? demanda Pierre à sa voisine.
    Un peu découragée, l’Américaine sourit tristement à Pierre. Comment expliquer à
     l’homme ce qui était arrivé ?
    — Je vais faire chauffer un peu d’eau pour votre mère, dit Miss Harrington en
     allant actionner la pompe à main afin de remplir la bouilloire de fonte.
    — Pas d’eau courante non plus... murmura Julianna.
    Pierre fit non de la tête en baissant les yeux comme lorsqu’il était enfant et
     qu’il avait commis une bêtise.
    Julianna examina attentivement la pièce autour d’elle.
    — Et pas d’électricité.
    — Non, dit de nouveau Pierre.
    — Vous vivez là-dedans depuis... sept ans ? Et tu ne nous as jamais rien
     dit ?
    — Miss Harrington, où est Mélanie ? insista Pierre.
    — Elle est en haut, finit-elle par lui répondre.
    — Mélanie, mes parents sont arrivés, cria Pierre, ne comprenant pas l’absence
     de sa femme. Allons, Dominique, lâche-moi un peu, s’impatienta-t-il.
    Miss Harrington mit la bouilloire sur le feu et revint prendre le petit garçon
     dans ses bras. Elle l’assit sur une chaise et, à l’aide d’une ceinture de cuir,
     l’attacha solidement par la taille aux barreaux de bois. Sans en demander la
     permission, Timmy s’attabla. Il noua une serviette à vaisselle autour de