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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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son
     cou.
    — J’ai beaucoup faim, pis lui aussi, dit-il en parlant de son ami
     imaginaire.
    Miss Harrington remplit deux bols et les déposa devant son fils. Dans un
     troisième, elle mit une plus petite quantité de bouillon et entreprit de nourrir
     Dominique. À deux ans, l’enfant avait la manie de vouloir manger seul. Avec une
     moue de dédain, il détourna la tête. En soupirant, l’Américaine se releva, prit
     une cuillère supplémentaire et la donna au bambin. Heureux, Dominique la saisit
     dans une de ses menottes. Tout en la brandissant, il ouvrit grand la bouche,
     acceptant cette fois ce que lui offrait la main nourricière.
    — Nous voulons du pain, exigea Timmy.
    — Tantôt. Il faut tout manger avant, répondit sa mère.
    Où était donc Mélanie ? se demandait Pierre. Il chercha une explication auprès
     de Miss Harrington, mais celle-ci baissait les yeux et se concentrait sur la
     cuillère de soupe qu’elle tendait à Dominique. Tandis que Julianna continuait
     d’inspecter la maison d’un regard critique, soulevant un rideau de la fenêtre du
     salon, Pierre se dirigea vers l’escalier menant aux chambres. Au même moment, sa
     femme apparut en haut des marches.
    — Ah, Mélanie, mes parents sont là ! répéta Pierre avec une
     note d’impatience.
    Miss Harrington se leva, gardant le bol et la cuillère à la main afin d’éviter
     que Dominique ne les renverse. Que faisait la jeune femme debout ? C’était pure
     folie !
    Du haut de l’escalier, Mélanie salua sa belle-mère.
    — Bonjour, madame Rousseau, dit-elle d’une petite voix.
    Julianna sourit à Mélanie en la détaillant. Sa bru n’avait pas fière allure.
     Une robe qui ne lui seyait pas du tout, des cheveux ternes, des yeux bouffis et
     Dieu qu’elle était maigre ! Elle laissa retomber le bout du rideau qu’elle
     examinait et s’essuya les doigts sur sa jupe.
    — Tu aurais dû me le dire, Mélanie, que tu n’avais jamais trouvé le temps de
     changer tes vieux rideaux, j’aurais apporté ma machine à coudre.
    Mélanie se figea. Ses rideaux auxquels elle avait passé tant d’heures...
    Julianna continua sur sa lancée :
    — J’aurais pu te confectionner une jolie robe pour ton état. Pour garder le
     moral, il faut se sentir en beauté.
    Mélanie serra les lèvres.
    Miss Harrington en fit autant, se retenant pour ne pas dire sa façon de penser
     à cette femme.
    — La voiture a rien pantoute ! s’exclama François-Xavier en pénétrant dans la
     cuisine, portant la boîte de cadeaux destinés à son petit-fils.
    À la vue de l’homme roux qui entrait, Miss Harrington échappa le bol par terre.
     Le père de Pierre n’était pas le portrait craché de Patrick O’Connor, cependant
     la démarche, le maintien et les yeux... les yeux... Son âme d’artiste ne pouvait
     se tromper. Comme au ralenti, tous les regards se braquèrent sur l’Américaine et
     sa bévue avant dese reporter, presque à l’unisson, vers
     l’étage. En haut de l’escalier, accroupie, la tête appuyée sur un barreau du
     garde, Mélanie venait d’éclater en sanglots.

    Pierre ne comprenait plus rien. Pour couronner le tout, Dominique s’était mis
     de la partie et pleurait à fendre l’âme. Ne sachant quelle attitude adopter,
     François-Xavier déposa la boîte de cadeaux à terre et resta planté au milieu de
     la cuisine. Miss Harrington hésita. Devait-elle s’occuper de Mélanie, consoler
     Dominique ou rentrer chez elle ? Julianna prit la situation en main.
    — François-Xavier, rends-toi utile et ramasse le dégât, ordonna-t-elle avant de
     monter rejoindre Mélanie.
    Avec douceur, elle repoussa une mèche de cheveux frisés de la jeune
     femme.
    — Allons, ma belle-fille, viens, allons dans ta chambre.
    Mélanie se laissa escorter. On entendit la porte de la pièce se refermer. Miss
     Harrington consola Dominique et rassura Timmy. Le calme se réinstalla dans la
     maison. Pierre ne savait plus à quel saint se vouer. Incertain, il esquissa un
     mouvement vers l’étage qu’il refréna quand Miss Harrington lui fit signe de
     rester en bas. Elle envoya Dominique vers lui :
    — Va dans les bras de papa, dit-elle. Je retourne chez moi avec Timmy. Je
     reviendrai demain.
    Pierre prit Dominique. Avec une expression de pitié, la voisine entraîna son
     fils à l’extérieur. Une guenille à la main, François-Xavier avait terminé de
     nettoyer les éclaboussures de soupe. Les deux

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