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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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était rentrée à l’aurore en faisant attention pour ne pas réveiller
     Adélard. Elle espérait qu’il avait bien pris ses médicaments la veille. Elle
     s’était endormie le sourire aux lèvres, si heureuse… et ce matin… la mort avait
     endeuillé son bonheur…
    En soupirant, Yvette se dirigea vers la chambre à coucher d’Adélard. Il fallait
     qu’elle voie son frère. Elle hésita avant de trouver le courage de tourner la
     poignée de la porte. À petits pas, elle s’avança vers le lit. Sous les
     couvertures se dessinait la forme du corps du jeune homme. Yvette prit une
     grande inspiration et lutta contre les larmes qui montaient.
    — Adélard, oh, Adélard...
    Elle tendit la main et lui toucha la joue.
    — Laisse-moi dormir, c’est dimanche ! grommela-t-il.
    — Adélard, papa a téléphoné... C’est terrible, mais... un accident... un cheval
     l’a rué. Il l’a frappé à la tempe.
    Réveillé, Adélard repoussa les couvertures et s’assit bien droit.
    — Je comprends pas, Yvette. Qui... qui a été rué ?
    — Il accompagnait un vétérinaire pour apprendre... Il est mort tout de suite...
     Zoel, Zoel est mort.

    Profitant d’un instant de solitude, François-Xavier prit son cahier et l’ouvrit
     à la page de l’arbre généalogique. Avec un soupir, il écrivit soigneusement la
     date du décès de Zoel. 16 octobre 1960. Il y avait déjà plusieurs jours
     que le corps de son fils avait été ramené de Saint-Hyacinthe. C’est Adélard qui
     avait fait tout le voyage en train aux côtés du cercueil de son frère préféré.
     Comment surmonter ce nouveau deuil ? Où François-Xavier irait-il puiser la force
     de continuer après avoir mis en terre son grand garçon ? À quel réconfort
     s’accrocher ? À Dieu ? Il aurait donné n’importe quoi pour avoir encore vraiment
     la foi et remettre sa peine entre les mains du Seigneur. Cette sérénité que les
     croyants affichaient face à la mort, certains de retrouver ceux qu’ils aimaient
     tant, un peu plus tard, au ciel, quand leur propre heure serait venue, il aurait
     voulu la ressentir aussi. Zoel, ce fils qui embrassait la vie, qui fonçait et
     clamait sur les toits que rien ne lui résisterait… Une ruade, un coup de sabot,
     puis le néant. Julianna était terrassée de douleur. Le docteur lui donnait des
     calmants. Henriette et Isabelle l’entouraient de leurs soins. Mélanie s’occupait
     des repas et veillait sur les invités. La maison funéraire Gravel et fils étant
     située sur la même rue que leur logement, François-Xavier avait décidé de leur
     confier Zoel. Il referma son cahier et le remit à sa place, caché sous son
     matelas. Il ouvrit le premier tiroir de sa commode et choisit un mouchoir de
     tissu propre. Julianna n’avait jamais le sien… Un vertige le prit. Il s’appuya
     sur lerebord du mobilier. C’était le deuxième fils qu’il
     enterrait... trois avec celui qui était mort-né. Cela faisait si mal... trop
     mal ! D’un geste rageur, il poussa le meuble de côté. La commode se renversa,
     fracassant le pauvre tiroir de bois resté ouvert. Alerté par le bruit, Pierre
     frappa à la porte :
    — Papa, ça va ?
    Il devait tenir le coup… pour Julianna, pour ses autres enfants.
    — C’est beau Pierre, inquiétez-vous pas. Je... j’me suis enfargé dans mon
     bureau de linge.
    François-Xavier essaya du mieux qu’il put de remettre de l’ordre dans la
     chambre et de faire disparaître les traces de son accès de colère. Il lui
     faudrait remplacer le tiroir. Il s’assit au bout de son lit, incapable de
     retourner tout de suite auprès des autres. Peu importe l’âge d’un enfant, s’il
     part avant ses parents, c’est une partie de leur propre cœur qui meurt… Était-ce
     la cruelle compréhension de ce constat qui fit que Georges se révéla d’un
     soutien inespéré ? Dès l’ouverture du salon funéraire, son beau-frère était venu
     présenter ses condoléances.
    Suivi d’Henriette, Georges avait, comme tous les autres, fait la file afin de
     leur serrer la main et de prononcer les paroles d’usage. François-Xavier l’avait
     à peine remercié du bout des lèvres. Il essayait de se concentrer sur sa
     respiration et ne pensait qu’à retenir Julianna contre lui, sentant qu’elle
     avait les jambes flageolantes. Plus tard, recueilli devant la tombe de son fils,
     le bruit des conversations étouffées derrière lui, il n’avait

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