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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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littéralement sauvée du
     bureau et avait marché longuement avant de rentrer chez elle. Dans sa tête, les
     émotions se mélangeaient. Elle n’était pas indifférente aux marques d’attention
     de la part de son patron. Yves la rendait si... si vulnérable. Auprès de lui,
     elle se sentait encore jeune et belle. Une telle connivence les unissait. Ils se
     livraient à de petites joutes oratoires dont Julianna sortait presque toujours
     victorieuse. Yves aimait sa passion. Quand elle s’enflammait sur un de ses
     sujets préférés, la condition de la femme, il applaudissait et lui rétorquait
     qu’elle était digne des plus grands hommes de ce pays. François-Xavier tolérait
     à peine cette fougue chez elle. Il lui demandait de ne pas hausser le ton ou il
     se réfugiait derrière son journal. Avec Yves, ils pouvaient argumenter,
     discourir, partager des opinions ; ensemble, elle et son patron pouvaient faire
     trembler la terre ! Son avis sur un éditorial l’intéressait. Ils discutaient
     d’actualité, de politique... Dieu, qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle était une
     femme mariée, mère d’une famille nombreuse, grand-mère de surcroît ! Quelle
     absurdité ! Rédiger un courrier du cœur lui donnait peut-être trop des idées
     de... de liberté. À force de lire des secrets, l’inavouable, l’impensable, elle
     était devenue plus réceptive aux sentiments humains.
    « Ah, Julianna, tu dois prendre sur toi. François-Xavier est un
     bon mari. Tu l’aimes, non ? »
    Elle quitterait son emploi au journal, il n’y avait pas d’autres solutions. De
     toute façon, il était temps qu’elle se consacre à son grand projet. Julianna
     attendait juste de pouvoir parler avec Henry. Dès cet automne, elle désirait
     tout mettre en branle. Elle avait tout calculé, tout soigneusement planifié. Sa
     sœur Marie-Ange, Dieu ait son âme, allait être fière d’elle... Marie-Ange, en ce
     moment, de là-haut, elle devait froncer les sourcils et être bien découragée de
     la petite dernière sans cervelle. Julianna scruta le ciel étoilé. Elle imagina
     sa sœur taper du pied devant autant d’enfantillages.
    — Oui, Marie-Ange, tu as raison. Il est temps que je me raplombe.
    Décidée à sauver son couple, Julianna retourna se coucher. Doucement, elle se
     blottit contre son mari et posa sa main sur son épaule. En maugréant,
     François-Xavier la repoussa et se tourna de côté, ronflant de plus belle.
     Julianna retint ses larmes. Malgré toutes ses bonnes intentions, rien n’allait
     plus entre eux. Pourquoi son mariage la décevait-il autant ? Qu’était devenu ce
     jeune homme roux qui lui avait promis mer et monde ? Depuis que François-Xavier
     avait perdu sa fromagerie, tout avait changé. Le rehaussement des eaux avait
     causé bien plus de dégâts que jamais aucune compensation financière n’aurait pu
     régler. Trente-cinq ans de vie commune... En pensée, elle revit sa nuit de
     noces. Son mari l’avait entraînée en haut de la tour de leur maison, cette
     maison qu’il avait construite pour elle. Elle avait presque oublié à quel point
     il l’avait rendue heureuse... Elle voulait retrouver l’entente entre eux.
     Peut-être était-ce normal après tant d’années ensemble. L’amour était commeun jardin. Sans soin, les mauvaises herbes envahissaient tout,
     au point d’étouffer la moindre pousse. Elle espérait seulement que ce n’était
     pas trop tard. De nouveau, elle tenta de réveiller son mari.
    — François-Xavier... François-Xavier, commença-t-elle.
    — Quoi ? marmonna-t-il.
    — Trente-cinq ans de mariage, ce n’est pas rien... on aurait pu...
    Son mari se méprit. Sèchement, il lui coupa la parole :
    — C’est pas la fin du monde non plus, reviens-en.
    Bien réveillé cette fois, il ajouta :
    — Pis c’est toujours pas de ma faute si t’es encore partie à ton journal.
    Une femme qui travaille, c’est contre nature, se dit l’homme. Tous leurs
     problèmes venaient de ce constat. Il n’en tenait pas rigueur à Julianna. Les
     sous qu’elle rapportait les aidaient beaucoup. C’est à lui qu’il en voulait,
     amèrement. Il n’était vraiment pas à la hauteur.
    D’un ton encore plus dur afin de cacher son désarroi, Julianna mentit :
    — J’avais pas le choix d’y aller ! C’était ma dernière journée avant la relâche
     d’été. J’ai dû remettre tous mes articles en avance ! Et puis ça ne change

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