Au temps du roi Edouard
cessera de respecter Wickenden.
— Là, vous vous trompez, Viola. Ils sont fonction l’un de l’autre. Le Wickenden que Sébastien cessera de respecter ne sera plus le même Wickenden… Le cottage de Wickenden et Chevron ont les mêmes fondations. Le tremblement de terre qui détruira Chevron détruira le cottage…
— Seulement, ce ne sera pas un tremblement de terre (pas en Angleterre, il n’y en a jamais…), ce sera un effondrement progressif.
— Peut-être. Mais le résultat sera le même. Ils s’écrouleront ensemble…
— Mais on élèvera quelque chose à leur place, dit Viola : quelque chose de moins manifestement disparate.
— Oui – deux habitations semblables en tous points, fit Sébastien avec amertume.
— Mon pauvre Sébastien, vous haïssez cette idée, mais il faudra vous y résigner. Vous essayez de l’envisager sans passion, je le sais, mais vous retardez d’un siècle. Un siècle seulement – nous n’avons pas besoin de remonter à la guerre des Deux-Roses. Vous vivez encore au temps où l’Angleterre était un pays agricole et non industriel ; où la population était moins importante, où le fermier dépendait réellement de son propriétaire, l’employé de son employeur ; où les relations étaient beaucoup plus personnelles ; où le fils de Wickenden ne rêvait pas de trouver du travail ailleurs qu’à Chevron, où le rôle de Wickenden, comme celui de Sébastien, était héréditaire.
— Aujourd’hui, il entre dans les automobiles.
— Et Sébastien lui en veut.
— Mais Wickenden aussi. Vous l’oubliez.
— Wickenden mourra, mon chéri. Wickenden et Sébastien appartiennent tous deux à l’ancien temps. Il y a trop de jeunes Wickenden à présent : ils ne peuvent pas trouver tous du travail à Chevron. Naturellement, Sébastien se cramponnera plus longtemps que les jeunes Wickenden. Sébastien a raison ; il a une vie agréable, il a beaucoup d’argent ; il passe la moitié de son temps à Londres, l’autre moitié, il l’emploie agréablement à protéger ses subordonnés, à parcourir son domaine quand il fait beau, à répandre partout de bonnes paroles : « Oui, je réparerai votre toit… »
— Et qui réparera le toit de Wickenden, si je ne m’en occupe plus ?
— Wickenden lui-même. Un Wickenden qui ne dépendra plus de votre personne ou d’une autre, mais d’un employeur invisible – l’État peut-être – qui lui donnera un salaire proportionné au travail qu’il aura fourni. Plus de maître, plus de servitude, plus de gratitude.
— Mais, que le diable m’emporte, je donne à Wickenden un salaire convenable ! Et je jure que Wickenden ne se sent ni mon esclave, ni mon obligé. Demandez-le-lui. Il ne saurait pas ce que vous voulez dire.
— Non, mais son fils le saurait.
— Ah, le jeune Frank !… Ce garçon-là n’a pas d’éducation ni d’affection pour Chevron…
— Pourquoi en aurait-il ? Chevron est votre maison, et non la sienne. Vous pouvez estimer Wickenden parce qu’il confond ses intérêts avec les vôtres ; moi, j’estime le jeune Frank qui tient à avoir ses propres intérêts. Nous avons un point de vue différent, Sébastien. Nous ne tomberons jamais d’accord.
— Je croyais que vous aimiez Chevron autant que je l’aime, Viola.
— J’aime Chevron. Quelque chose s’est brisé en moi le jour où j’ai découvert que je ne devais pas m’y cramponner. De temps en temps, je suis encore obligée d’arracher quelques vieilles racines… Ça me fait mal, mais je les arrache… Je considère notre amour pour Chevron comme une faiblesse.
— Tout amour est une faiblesse, si nous en venons là, puisqu’il détruit en partie notre indépendance. Jene vois pas pourquoi l’amour d’un endroit serait une faiblesse plus que l’amour d’un être.
— Parce que, dans ce cas particulier, votre amour pour Chevron n’est pas simple. Il comprend Wickenden, et la forge, et les bûcherons.
— Je ne vois pas en quoi cela importe, marmonna Sébastien d’un air boudeur. Je vous accorde que Chevron et moi, et Wickenden, et tout ce qui s’ensuit, ne sommes que des figures de musée. La vie actuelle nous a retiré toute signification. Mais je persiste à croire que c’est dommage, car nous avons construit un système qui pouvait conduire à l’entente des hommes : les relations entre seigneur et artisan, entre seigneur et laboureur, entre seigneur et fermier contiennent des
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