Au temps du roi Edouard

devant l’enthousiasme prématuré d’un amateur. Sébastien regarda la maison grise ; tous les rideaux étaient encore baissés ; avec la supériorité de ceux qui se lèvent de bon matin, il méprisa ses hôtes de dormir encore…
    Maintenant, il se reposait, accoudé sur son balai. Il aimait sentir le contact du bois entre ses mains : ses doigts montaient et descendaient le long du manche poli par l’usage. Godden s’arrêta aussi, et observa son maître en souriant.
    — Des ampoules, Votre Grâce ?
    — Il m’en faudrait davantage, répliqua Sébastien, froissé, et il se remit à la besogne, bien qu’il eût préféré regarder la neige scintiller comme des diamants, et le soleil rouge qui montait derrière la cime des arbres, et Sarah et Henry qui couraient comme des fous, l’un après l’autre.
    * * *
    Thérèse décida qu’elle ferait preuve de savoir-vivre en faisant sa première apparition à midi, ce matin-là. Elle ne montrerait ainsi aucun empressement déplacé. Elle était arrivée à Chevron, résolue à se conduire avec une extrême réserve ; elle ne trahirait son agitation par aucune parole emportée, son ignorance par aucune question imprudente. Elle se montrerait calme et maîtresse d’elle-même et, en imitant rigoureusement ce que feraient les autres, elle triompherait de l’épreuve qu’étaient ces trois jours frémissants, torturants, exquis, sans s’exposer à la honte ni au ridicule. À dire vrai, Thérèse n’avait jamais été aussi émue. L’immensité de Chevron, son luxe, le nombre des domestiques, les valets de pied poudrés, en culotte de velours rouge, les grands feux de bois, la vaisselle d’or, la conversation des gens du monde, qui ne s’étonnaient jamais de rien : tout cela avait de beaucoup dépassé son attente. Cendrillon allant au bal n’était pas plus éblouie.
    — Du sang-froid, du sang-froid, se répétait-elle. Ne perds pas la tête.
    C’est seulement quand elle eut rejoint John dans sa chambre qu’elle laissa déborder son enthousiasme. Elle fit d’un bond le tour de la pièce, regardant chaque objet avec extase.
    — Oh ! regardez, John, regardez ! s’écriait-elle.
    La coiffeuse, le lavabo, la table à écrire, l’immense lit à baldaquin où une main invisible avait déjà étalé ses vêtements, le feu pétillant, les coussins de mousseline, la chaise longue avec sa couverture de chinchilla : tout cela était pour Thérèse une nouvelle ivresse. Elle s’attarda près de la table à écrire, maniant tous les objets, parmi lesquels se trouvait une carte où on lisait, en caractères imprimés :
    « Le courrier arrive à huit heures du matin et à quatre heures du soir, il part à six heures. Le dimanche, le courrier arrive à huit heures, et part à cinq heures.Le déjeuner est à une heure et demie ; le dîner, à huit heures et demie. »
    On ne parlait pas du petit déjeuner ; c’est que les dames, Dieu merci, n’étaient pas obligées de descendre dans la salle à manger. Puis il y avait trois sortes de papier à lettres.
    — Regardez, John ! Le plus beau vélin de Mac-Michael ! Et je sais qu’il coûte une livre la rame !…
    Mais ce qui émerveilla Thérèse par-dessus tout, c’était l’adresse : « Chevron », inscrite sous une couronne ducale.
    — Rien que « Chevron », John !… Pas un mot de plus ! Ni ville, ni province ! Ça doit être tellement connu ! Rien que « Chevron (Angleterre) ». Il faut que j’écrive à Maud et à maman, ajouta-t-elle, décidant, en son for intérieur, qu’elle enverrait des souhaits de Noël à tous ceux qu’elle connaissait.
    Le moindre objet, dans la chambre, portait la marque de son propriétaire ; l’enveloppe de la bouilloire était chiffrée de deux C entrelacés et d’une couronne ; les draps aussi, comme Thérèse le vit en relevant le couvre-pieds ; de plus, ils étaient ornés d’un large ruban de satin rose. Thérèse ne cessait de songer au prix que cela devait coûter.
    — Et puis, John, il n’y a pas seulement cette chambre, mais vingt, trente chambres comme celle-ci !… Malgré cela, je n’aime pas la duchesse. Et vous, John ? Je suis sûre qu’elle a très mauvais caractère. Quelle drôle de figure chiffonnée ! Je parie qu’elle se teint les cheveux… Oh ! comme je voudrais que lady Roehampton fût là !… Je n’aime pas non plus cette Mme Lewison, bien qu’elle soit la personne en vogue,la crème des crèmes. Je