Au temps du roi Edouard
vraie nature, ensuite parce que c’était une soirée d’hiver, qu’il avait parlé de Thérèse, qu’ils étaient assis devant un grand feu de bois, que leur mère était sortie, folle de rage, parce qu’Henry s’étirait dans son sommeil et que Sarah était couchée dans les bras de Sébastien, le nez enfoui sous son menton… Pour toutes ces raisons, quand Viola lui demanda :
— Alors, pourquoi passez-vous votre temps avec eux ?
Il répondit :
— Par habitude, probablement. Il faut bien faire quelque chose.
— Mais cela vous satisfait-il, Sébastien ?
— Grands dieux non ! Je crois que cela ne satisfait personne, sauf peut-être une cervelle d’oiseau comme maman. On est pris dans l’engrenage, c’est tout, et on marche en rond l’un derrière l’autre, comme une procession de chenilles. Cela vous empêche de réfléchir. Il y a des moments où l’on s’ennuie, d’autres où l’on s’amuse – et on peut s’estimer heureux si les moments où l’on s’amuse sont en excès.
— Les moments où l’on s’amuse – je n’en vois pas beaucoup.
— Non, parce que vous êtes sérieuse, dit Sébastien en la regardant comme s’il venait de la découvrir. J’ai un côté frivole ; vous, non. Moi, j’ai aussi un côté sérieux, et ces deux tendances luttent en moi. Alors, cela m’irrite. Est-ce que rien ne vous amuse ?
— Si, mais pas les mêmes choses que vous. Pas les réunions mondaines. Pas les potins.
— Vous êtes très secrète, Viola ; si vous disparaissiez complètement un jour, cela ne m’étonnerait pas.
— Vous aussi, Sébastien, vous êtes très secret ; je crois que vous ne tenez à rien si ce n’est à Chevron ; et, en tout cas, pas à quelqu’un.
— Cependant, j’ai des amis.
— Oui – des femmes qui se cramponnent à vous. Quant aux hommes, c’est pur hasard s’ils se lient avec vous. Dites-moi franchement, avez-vous jamais rencontré quelqu’un que vous aimiez vraiment ?
Sébastien pensa à Anquetil, mais il ne voulut pas prononcer son nom.
— Oui, une seule personne. Et vous ?
Viola pensa aussi à Anquetil :
— Oui, une seule.
Un léger malaise arrêta leurs confidences, car tous deux avaient envie de demander : « Qui ? » mais leur discrétion les en empêcha. Une bûche tomba, faisant jaillir une gerbe d’étincelles. Sarah s’éveilla et voulut lécher le menton de Sébastien ; comme ce n’était pas permis, elle gémit et, en soupirant, se rendormit.
— Combien de temps y aura-t-il encore des gens comme nous, Sébastien ? Et des endroits comme Chevron ?
— Que c’est drôle… J’avais exactement la même pensée… Oh ! nous durerons peut-être encore une génération ou deux. D’ici là, en tout cas, nous ne ferons pas beaucoup de mal.
— Ni beaucoup de bien. Nous sommes inutiles.
— Croyez-vous ? Je reconnais que je ne suis pas un sujet remarquable ; mais si frivole que vous me jugiez, je veille quelquefois à la bonne marche de Chevron.
— Ne dites pas de bêtises, Sébastien. Je le sais. Je le sais que vous n’êtes parfaitement heureux que lorsque vous parlez avec Wickenden ou que vous vagabondez avec Bassett. Vous étiez né pour être un gentilhomme campagnard, avec des culottes courtes et des guêtres, au lieu de courir après les jolies femmes de Londres que vous méprisez. Vous adorez Chevron, et cela vous fendrait le cœur de le voir transformé en musée national.
— Naturellement.
— Oui, naturellement. Mais n’oubliez pas que nous survivons à un passé déjà mort, même si nous vivons encore comme sous la guerre des Deux-Roses.
— Bonté divine, Viola, je n’aurais jamais cru que vous aviez de telles idées !
— Vraiment ? Je crois que vous les avez aussi, mais vous n’osez pas les regarder en face, c’est trop gênant. Enfin, je reconnais qu’on peut dire quelque chose en faveur de Sébastien le châtelain, mais pas en faveur de Sébastien le « Beau Jeune Homme ».
— Oh ! parlez-moi de Sébastien le châtelain, il m’intéresse.
— Il m’intéresse aussi, parce qu’il est dans le réel. Il existe des sentiments vrais entre lui, et Wickenden, et Bassett. Ils parlent la même langue, bien que Wickenden fasse des fautes et que Sébastien n’en fasse pas. Ils ont du respect l’un pour l’autre. Et je dis ceci en faveur de Sébastien : le jour où Wickenden cessera de respecter Sébastien viendra plus tôt que le jour où Sébastien
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