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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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parle à son aise ! Mais ce n’est pas tout le monde qui y penserait, même ceux qui en ont les moyens ! Et Votre Grâce nous paie déjà de bons salaires ! Merci beaucoup, Votre Grâce. Ma vieille femme va sauter de joie quand elle va apprendre la bonne nouvelle.
    Sébastien sourit, esquissa un salut, et partit, sans être tout à fait content. Il sentait qu’il avait reçu plus de remerciements et de louanges qu’il n’en méritait. Cinq shillings par semaine, cela faisait treize livres par an et (il avait une centaine d’hommes) treize cents livres à la fin de l’année ; guère plus que sa mère dépensait pour un seul bal ; une somme négligeable dans son budget. Il eut honte. L’argent mis à part, il sentait que ses relations avec Turnour étaient fausses. Que lui importaient, au fond, les rhumatismes du vieillard ? Et son âge ? Et les trois milles qu’il était obligé de franchir tous les matins à cinq heures pour se rendre à son travail, hiver comme été, et le soir pour rentrerchez lui ? Si, par une froide soirée d’hiver, Sébastien avait trouvé son feu éteint et si Vigeon, convoqué, avait dit que Turnour avait oublié de couper du bois, est-ce que lui, Sébastien, n’aurait pas écumé de rage et demandé à quoi servait Turnour, sinon à couper du bois ? Et il se serait cru très charitable de ne pas le renvoyer immédiatement…
    Sébastien marchait droit devant lui, mécontent, hochant la tête. Viola l’avait bouleversé. Il songeait que c’était à lui de remercier le vieillard de se lever tous les matins à cinq heures et de faire trois milles à pied pour qu’il trouvât son bain chaud à huit heures, et que les feux de Chevron brûlent toute la journée…
    * * *
    Le lendemain matin, la neige était tombée. Sébastien sourit, en voyant, par la fenêtre, le jardin tout blanc. Il sourit parce que Thérèse allait trouver Chevron comme elle s’attendait à le voir. « Un vrai Noël d’antan », dirait-elle. Il était si content que les platitudes de Thérèse l’émurent. Il regarda longuement le décor familier. Deux hommes étaient déjà en train de balayer la neige dans les allées. Leurs balais noirs faisaient swish-swish , et les hommes les suivaient, se balançant d’un pied sur l’autre, vagues caricatures des faucheuses et de leurs gestes magnifiques. La neige, fine comme une poudre, volait sous les brindilles et s’amoncelait de chaque côté de l’allée, formant des remparts à pans coupés, clairs et étincelants ; entre chaque coup de balai, le gravier jaune apparaissait, rayé de légers demi-cercles blancs. Des merles sautaient sur la pelouse, marquant l’épais tapis d’empreintes précises. Sébastien, devant un tel spectacle, ne put supporter de rester enfermé ; il enfila un pantalon et un sweater, appela Sarah et Henry qui bâillaient et s’étiraient encore dans leurs paniers respectifs (Sarah, surtout, était lente à s’éveiller et adorait sauter sur le lit de son maître pour se faire caresser pendant cinq minutes avant d’être officiellement debout) et descendit pour sortir ; en bas, il se heurta aux volets clos et aux portes cadenassées, car les domestiques n’avaient pas le droit de pénétrer d’aussi bonne heure dans cette partie de la maison. Il pesta contre la trop scrupuleuse Mme Wickenden jusqu’à ce qu’il eût triomphé des volets de la bibliothèque ; Henry fila en avant dans la neige, l’éparpillant avec son nez ; Sarah, plus circonspecte, le suivit en reniflant, regardant Sébastien pour savoir ce que cette étrange blancheur pouvait bien vouloir dire. Sébastien marcha vers l’allée où travaillaient les hommes, et, demandant à l’un d’eux son balai, il envoya celui-ci vers quelque autre besogne.
    Le soleil, pareil à un ballon rouge, venait d’apparaître derrière les arbres ; maintenant, un grand bout de l’allée était déjà nettoyé ; Sébastien travaillait avec tant d’ardeur qu’il était toujours en avance sur son compagnon. L’air glacial et l’exercice le brûlaient ; il se sentait en verve et plaisanta l’homme sur sa lenteur.
    — Regardez, Godden, je balaye mon côté en moitié moins de temps que vous !
    — Peut-être bien, Votre Grâce ; mais Votre Grâce n’a pas à travailler tout le reste de la journée. Lentement, mais sûrement. Voilà ce qui nous permet de tenir du matin au soir.
    Godden était de bonne humeur, et s’amusait, comme tout professionnel,

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