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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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pas les yeux à l’évidence : il plaira beaucoup aux femmes. Ses façons désinvoltes, quoique charmantes… Je me demande s’il sait seulement mon nom…
    — Ma chère Sylvia, vous êtes une de ses favorites ; quand je lui annonce que vous venez, il me répond : « Dieu merci ! »
    — Cela veut dire, reprit lady Roehampton, heureuse de l’avoir prise au piège, que la plupart de nos amis l’ennuient.
    — Pire que cela, Sylvia, soupira Lucie, décidée à avouer ses griefs ; quelquefois, je crois qu’il les a en horreur. Il dit des choses si sarcastiques, pas du tout comme un enfant… Des choses mordantes, et qui me gênent. À d’autres moments, il a l’air de s’amuser. C’est à n’y rien comprendre…
    — L’adolescence ! dit Sylvia, laissant échapper un long ruban de fumée (car, bien qu’elle ne fumât jamais en public, elle adorait une cigarette dans l’intimité).
    — Si c’était vrai ! soupira Lucie ! Si je pouvais croire que tout cela s’arrangera ! C’est une lourde responsabilité, Sylvia.
    — Vous pourriez toujours vous remarier, Lucie, suggéra lady Roehampton en regardant son amie.
    — Oui, dit Lucie, immédiatement sur la réserve, mais je préfère garder mes difficultés pour moi seule.Tout compte fait, je suis décidée à m’occuper de Chevron jusqu’à ce que Sébastien se marie… Mais, Sylvia, il faut nous habiller !…
    — Le dîner est à huit heures et demie ?
    — À huit heures et demie. Quelle robe mettez-vous ? Celle en taffetas bleu Nattier ? Elle vous va si bien… Ne vous pressez pas, ma chérie, je serai certainement en retard.
    * * *
    Sébastien avait une nature complexe : d’une part, il détestait les amis de sa mère et, de l’autre, il se laissait séduire par leur éclat. Parfois, il aurait voulu fuir, seul, à l’autre bout du monde ; parfois aussi, il aurait voulu se donner tout entier à l’enchantement flatteur des jolies femmes. Un jour, il aurait voulu voir tous ces gens jetés au feu, tant il les méprisait ; le lendemain, il trouvait qu’ils avaient résolu le problème de la civilisation mieux que les Grecs et les Romains.
    — Puisque nul ne possède la vérité, songeait-il, en se battant avec sa chemise de soirée, qu’au moins nous ayons de bonnes manières.
    Cette pensée n’avait rien d’original ; son père la lui avait inculquée avant de mourir, quelques années auparavant. Ce qui était inquiétant chez Sébastien, c’est qu’il n’avait jamais d’idées définitives sur aucun sujet. En un mot, il n’avait pas d’opinions, mais des humeurs, dont l’intensité dévastatrice n’égalait que la brièveté. Il n’avait jamais pu s’habituer à cette instabilité ; quel que fût l’état d’âme dans lequel il se trouvait,il croyait qu’il durerait toujours. Et quand, épouvanté, il s’apercevait que ses pensées suivaient une autre voie, il changeait immédiatement de point de vue avec un optimisme auquel l’oubli n’était pas étranger. Quand il n’avait envie de rien, il se lamentait sur sa propre instabilité. Sûrement, il y avait quelque chose qui n’allait pas. Il se sentait si différent des gens qu’il connaissait : comme ils étaient calmes, sûrs d’eux-mêmes ! Avec quelle volonté inébranlable ils semblaient suivre jusqu’au bout le chemin qu’ils s’étaient tracé !… Pas jusqu’au bout, précisément… La plupart n’étaient encore qu’au milieu de leur course ; d’autres, certes, étaient âgés ; la vieille duchesse de Hull, par exemple, quoique rebelle, s’approchait de la tombe ; mais on ne pouvait nier qu’ils finiraient tous comme ils avaient commencé. Pour eux, le monde ne changerait pas depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Ils avaient toujours su ce qu’ils voulaient, ils s’étaient cramponnés à leurs opinions, ils avaient choisi. Comme Sébastien les enviait ! Comme ils devaient être délivrés !… Mais que valait leur choix ?… Il se sentit soudain envahi d’un profond mépris et du désir ardent de retrouver son toit, sous les étoiles. Morne et sceptique, il enferma dans sa chambre ses épagneuls déçus et descendit chez sa mère.
    * * *
    Lucie quitta lady Roehampton, et rentra chez elle ; la grande maison était silencieuse ; tous les invités s’étaient enfermés dans leur chambre jusqu’au dîner ;dans les vestibules, il n’y avait personne, sauf une femme de chambre qui battait un coussin ou un

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