Au temps du roi Edouard
leur tête. Sébastien avait déjà assisté à la séance de coiffure plus de cent fois ; mais, aujourd’hui qu’il la voyait dans le miroir, il l’observait d’un œil nouveau. Il regardait sa mère, derrière le lac de rubis et les affreux « rats », comme une étrangère, découvrant soudain que, dans cette vie brillante et enfiévrée, il ne la connaissait pas du tout. Si on lui avait demandé de la décrire, il aurait répondu :
— C’est une maîtresse de maison parfaite, qui a le génie de recevoir. Elle est spirituelle et charmante.Dans l’intimité, elle est souvent irritable, et quelquefois méchante. Elle aime jouer au bridge et aller aux courses. Elle n’ouvre jamais un livre et ne peut supporter la solitude. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’est sa vraie nature.
Il n’aurait pas ajouté, parce qu’il l’ignorait, qu’elle était cruelle et avare.
— Pourquoi me dévisagez-vous ainsi, Sébastien ? Vous m’intimidez.
Ses cheveux étaient maintenant répandus sur ses épaules, et Button était en train de préparer les fers à friser. Elle les chauffait d’abord sur la lampe à alcool, puis les approchait de sa joue pour savoir s’ils étaient assez chauds.
— Ma parole, on croirait que ce garçon ne m’a jamais vue m’habiller !… Pour en revenir à ce dîner, oui, tout est de travers ; je m’en doutais. Elle a oublié l’ambassadeur, tout simplement. Button, appelez miss Wace. Non. Sébastien, allez la chercher. Non, sonnez, je ne veux pas que vous partiez… Pourquoi les gens ne peuvent-ils faire leur travail convenablement ? Je donne à Wacey cent cinquante livres par an. Pourquoi, je me le demande ?… Oh ! mon Dieu, regardez l’heure ; je vais être en retard. Vraiment, ces soucis gâtent tout le plaisir de recevoir !… Dire qu’il n’y a jamais de joie sans mélange !… Qu’est-ce qui frappe à la porte ? Button, allez voir. Et que miss Wace vienne immédiatement.
— Lady Viola demande si elle peut dire bonsoir à Votre Grâce.
— Au diable les gosses !… Enfin, oui, qu’elle entre, puisqu’elle en a envie. Eh bien, Button, avez-vousbientôt fini ? Ne me tirez pas les cheveux en arrière comme ça, ma fille. Passez-moi le peigne. Vous ne voyez donc pas qu’il faut plus de flou sur les côtés ? Vraiment, Button, je croyais que vous aviez la prétention de savoir me coiffer… Vous pouvez vous estimer heureux, Sébastien, d’être un garçon. Toujours ces cheveux, ces robes ! Cela use une femme avant l’âge. Ah ! vous voilà, miss Wace. Ce plan est tout de travers. Je ne veux pas de lord Roehampton. Et l’ambassadeur ? Il faut changer cela. Faites-le ici, aussi vite que vous pourrez, Sébastien vous aidera. Et Viola. Entrez, Viola ; n’ayez pas l’air si effaré, mon enfant. Je déteste les gens qui ont l’air effaré. Maintenant, il faut que je passe dans le cabinet de toilette. Non, je n’ai pas besoin de vous, Button, vous m’agacez. Je vous appellerai. Préparez ma robe. Mes enfants, aidez miss Wace. Oui, vous aussi, Viola ; il est grand temps que vous vous donniez un peu de mal pour aider votre pauvre mère… Et essayez, à vous trois, de montrer un peu d’intelligence.
La duchesse se retira dans son cabinet de toilette, d’où jaillit un flot de commentaires.
— Viola, vous devriez vraiment prendre un peu plus soin de vous-même. Au déjeuner, vous étiez affreuse ; j’avais honte de vous. Parlez donc un peu plus, au lieu de rester plantée comme une momie ! Vous étiez à côté de ce gentil M. Anquetil, qui n’est pourtant pas intimidant. On dirait que vous avez encore dix ans et non dix-sept. Je voudrais bien vous faire descendre maintenant à nos dîners, mais vous jetteriez un tel froid. Les jeunes filles sont si ennuyeuses ! Pauvres petites, ce n’est pas leur faute. Mais, vraiment, ellesposent beaucoup de problèmes. Elles tuent la conversation ; il faut faire tellement attention !… Il faut que les femmes soient mariées ou, tout au moins, veuves. Je ne parle pas de vous, naturellement, Wacey !… Button, je suis prête.
Button disparut, et il y eut un moment de silence, rompu, de temps à autre, par des exclamations irritées. Sébastien ignorait les mystères de la toilette maternelle, mais Viola savait bien ce qui se passait : sa mère était assise, tapotant ses cheveux de ses doigts nerveux, mais expérimentés, tandis que Button, agenouillée devant elle, lui enfilait ses bas
Weitere Kostenlose Bücher