Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
contre » pour mieux s’assurer de son « appui » pour revenir vers leurs bases.
En 1961, Eric de Bishop décida de confondre pour de bon le supposé imposteur en passant lui-même de la théorie à la pratique. A bord d’un esquif à peine moins primitif que le Kon-Tiki , il mit, depuis Tahiti, le cap à l’est et tenta de rejoindre les côtes chiliennes. Sans succès. Ajoutant à la confusion, une demi-douzaine de radeaux décidèrent de renouveler la route paradoxale du Kon-Tiki . Comble d’ironie : quatre réussirent dans leur entreprise, deux d’entre eux parvenant même à rejoindre l’Australie. En 2003 encore, le docteur Matthew Hurles de l’université de Cambridge enrichit le débat en isolant chez certains Polynésiens des chromosomes Y dont la structure ADN était en tout point comparable à celle de leurs lointains voisins d’Amérique du Sud. Et Heyerdahl de s’installer un peu plus dans son rôle de capitaine démonstratif.
En 1970, après une première tentative avortée, il conduisit Râ II , un bateau de papyrus de quinze mètres de long, du Maroc à la Barbade. Pour le plaisir de chatouiller un peu plus les certitudes historiques ? « Tout simplement pour alimenter le débat et initier de nouvelles recherches. Le savoir est multiple, c’est en cela qu’il est enrichissant et passionnant. » En l’occurrence, le prophète du « diffusionnisme » prit comme base de réflexion les parentés existant entre les pyramides égyptiennes et leurs cousines mexicaines. Une hypothèse qui l’incitait à penser que quelques habitants du Nil avaient (peut-être ? sûrement?) traversé l’Atlantique bien avant Christophe Colomb et ses performantes caravelles.
Sept ans plus tard, toujours persuadé du nomadisme perpétuel des peuples et des cultures, il développa une problématique semblable en traversant le golfe Persique puis la mer Rouge à bord de Tigris . Bis repetita : le fragile vaisseau de roseau transportait cette fois l’idée que les antiques Sumériens avaient (peut-être? sûrement ?) découvert la route de l’Asie plusieurs siècles avant les inégalables explorateurs portugais.
Peu importe l’interrogation ou la destination : ce qui, toujours, motivait Heyerdahl c’était de lever des hypothèses. La ligne droite n’était pas son fort. Mais plutôt les tours et détours que le doute exige et que l’indétermination suppose. « Même quand vous trouvez ce que vous cherchez, vous réalisez qu’il y a toujours plus à faire... » Même au soir de sa vie, Heyerdahl refusa de se résigner.
Depuis longtemps Watzinger avait disparu dans les Andes, Raab au fond d’une grotte du Groenland et Hesselberg lors d’une randonnée supplémentaire. Même Danielsson avait quitté Tahiti pour Oslo, vaincu par de multiples ennuis de santé. Autant de deuils et de démissions qui n’empêchèrent pas Heyerdahl (désormais docteur honoris causa des universités d’Oslo, Moscou, Lima, Philadelphie, La Havane, Kiev) de laisser courir sa curiosité du côté des Canaries afin d’effectuer, ici aussi, quelques fouilles indispensables, gratter l’indicible et prouver que nos plus lointains ancêtres étaient comme lui d’incorrigibles entrepreneurs. Parce que sous la pierre sommeillent toujours quelques vérités inconnues. Et parce que, comme il aimait à le répéter souvent, « s’il n’y a plus de taches blanches sur les cartes, il y en a, en revanche, encore énormément dans nos têtes... ».
CHUCK YEAGER
L'instinct du chasseur
Comment l’homme qui a posé la tête dans les mâchoires de la bête, surplombé les abîmes, chevauché tous les avions de la création, défié la peur et la raison, peut-il habiter dans un cul-de-sac ? Couler l’essentiel de ses jours à l’intérieur d’une villa borgne, bâtie à la diable, perdue au plus profond d’un inextricable sous-bois aux confins de Penn Valley et de la Californie ? Pour apprécier le pépiement des oiseaux, la fuite du vent et la promesse de l’aube? Plus sûrement, pour entretenir ses sens et son instinct. A soixante-dix-neuf ans, Chuck Yeager, poigne d’airain, regard trempé, s’est peut-être mis en congé du monde, il n’en demeure pas moins, encore et toujours, à l’affût.
Même s’il a changé l’orthographe de son nom au début du siècle dernier, son père, Allemand de souche, n’a pas trahi les fondements du clan. Le Jäger (chasseur) d’origine est toujours d’actualité. Jeans délavés, veste
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