Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
l’éternité... »
ALAIN BOMBARD
La grande traversée
Dans son nid d’aigle de Bandol, Alain Bombard avait coutume de recevoir ses visiteurs pieds nus. Preuve qu’il n’accordait aux conventions qu’un intérêt limité. Preuve surtout qu’il était d’un naturel décontracté. Du « docteur » Bombard, dont Georges Perec bien évidemment s’est « souvenu » au moment de dresser son florilège indispensable, on a vite fait de dresser un portrait-robot. Une faconde tout en rondeurs, un profil de poussah, une poignée de main bonhomme, une barbichette de comédie. Un « Tartarin », chuchotaient les persifleurs à une époque où, en matière de fanfaronnade, le héros de Daudet servait encore de référence. « Oui, mais un Tartarin qui aurait attrapé le lion ! » répliquaient ses fidèles, pressés de signifier qu’au-delà des apparences le phénomène avait accompli un exploit majeur : une traversée atlantique de cent treize jours sur un vulgaire boudin de caoutchouc à seule fin de démontrer que la survie en mer était possible.
A la différence d’un Jacques-Yves Cousteau, d’un Paul-Emile Victor ou d’un Haroun Tazieff, totems indiscutables autour de quoi ont tourné tous les intérêts et admirations de la plongée, des pôles et des volcans réunis, Alain Bombard, frère d’aventure avéré, n’a jamais fait l’unanimité. Question de personnalité (les bavards sont rarement consensuels), de savoir-faire (les chimériques ne sont pas toujours des ambitieux), de chance aussi. Au-delà de son expédition de 1952, des preuves certifiées, des explications fournies, Bombard n’a cessé de lutter pour maintenir à flot une réputation sans arrêt plombée par de contradictoires circonstances.
Une collection de scoumounes, une accumulation de mistoufles qui, jusqu’à sa disparition le 19 juillet 2005 à l’âge de quatre-vingts ans, hypothéquèrent plus d’une fois sa sereine navigation parmi les hommes. On pense, bien sûr, et en priorité, à l’horrible drame de la barre d’Etel, cette autre expérience de survie qui, en 1958, coûta la vie à neuf équipiers et sauveteurs embarqués, avec lui, dans une même et déplorable galère. Mais aussi à tous ces investissements hasardeux, ces bateaux mal nés, ces projets alambiqués qui, ajoutés les uns aux autres, ont troublé une image pourtant aimable et généreuse.
Alain Bombard c’était d’abord une bénédiction, le grand frère que l’on aurait aimé avoir, le grand-père que l’on a rêvé de connaître : un raconteur d’histoires qui toujours déblatère, tempête et s’enthousiasme. Certes, Bombard exaspérait souvent, se trompait parfois, mais il possédait l’énorme avantage de s’indigner quand tant d’autres de ses confrères en notoriété se contentaient de voir passer les trains. Vous souvenez-vous de l’affaire des boues rouges en Méditerranée ? De cette pollution dont on tint les usines Pechiney responsables? Bombard s’emberlificota quelque peu, mais son doigt inquisiteur n’en pointa pas moins dans la bonne direction... Bombard était un fieffé caractère et c’est ce caractère, plus que les rasades de plancton ingurgitées lors de sa dérive atlantique, qui lui a permis de vivre et de persévérer.
Au sortir de la guerre, le jeune étudiant en médecine avait choisi un sujet de thèse qui disait tout : « Le moral comme facteur de lutte dans des conditions physiologiques d’agression. » Où il était, en primeur, question de l’horreur des camps nazis tout juste révélée, mais plus généralement de l’essentielle capacité de l’homme à lutter contre la fatalité. L'interne de l’hôpital Saint-Louis de Boulogne-sur-Mer qui a connu une « enfance éblouie », un confort matériel et intellectuel rare, fréquenté Henri-IV de la huitième à la philo, appris le violoncelle avec Stravinski, fréquenté Marie Curie, une amie de sa mère, passé des vacances avec Einstein, une connaissance de son père, n’en finissait plus de s’étonner qu’en milieu hostile même les plus démunis puissent être grands et courageux.
La perte des quarante-trois marins du Notre-Dame-de-Peyrargues , échoué sur une digue Carnot, à quelques encablures du laboratoire où il poursuivait son internat, ajouta à sa réflexion. Certes les conditions n’étaient guère propices et le choc avait été violent, mais plus préjudiciable surtout, la plupart des victimes – l’enquête le révélera plus
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