Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
à deux doigts de lâcher prise. Il ne savait plus très bien où il en était et peinait à faire une méridienne avec sa règle de Cra. A bout d’arguments, il trouva encore la force de rédiger quelques feuillets définitifs en guise de testament, les plongea dans un sac étanche et identifia le tout à l’encre de Chine. « Quand j’ai vu cette poche flotter, je n’ai pu m’empêcher de rire... Un message parlant de survie à proximité d’un cadavre... Il y avait de quoi se tenir les côtes ! »
Vingt-quatre heures encore et Bombard se ravisa : il poussa son expérience jusqu’à son terme, jusqu’à la Barbade où, soixante-cinq jours après son départ du Maroc, quelques curieux accueillirent un jeune homme amaigri d’une bonne vingtaine de kilos. Un héros en marche ? Curieusement si les pieds et les mains gelés d’Herzog et Lachenal, victorieux de l’Annapurna deux ans plus tôt, avaient ému les Parisiens, dès le tarmac d’Orly, les béquilles de leur successeur en souffrance déclenchèrent au mieux quelques sarcasmes. Revenait à la surface la loufoquerie de l’aventure, la halte que l’intéressé avait consentie à bord de l’ Arakaka , cargo britannique croisé au quasi-terme de sa navigation, et le repas frugal qu’il avait accepté à son bord. Un accroc sans importance sauf qu’il fut tenu pour une faiblesse coupable. Personne n’osa parler de flop, mais les commentaires qui s’ensuivirent hypothéquèrent d’autant une éventuelle reconnaissance.
Au final il fallut attendre pas moins de deux ans, la publication d’un livre (merveilleux) et l’organisation d’une série de conférences (passionnées) pour que l’opinion révise petit à petit son point de vue. Bombard ne s’offusquait jamais que l’on rappelle ces hésitations initiales. L'ironie était son fort. Et la dérision qu’il cultivait avec une semblable inspiration. Rien ne l’ennuyait plus que le conformisme et le silence. Tout au contraire. Il appréciait de s’étendre à propos de ses engagements écologiques et politiques, des convictions de sa mère qui participa au Congrès de Tours en 1920 ou de celles de François Mitterrand dont il soutint les campagnes en 1974 et 1981.
Là encore, il était question de traversée et de survie. Mais on comprenait vite, en poursuivant la conversation plus avant, que l’île de Porquerolles qui se devinait dans le lointain, que la grande mare Méditerranée qui s’étendait à l’infini et que le flux et le reflux de l’élément qu’il chérissait entre tous (et qui, forcément, merci Raymond Devos, le faisait davantage « marée » que les contingences du monde) avaient plus encore sa préférence. Partant, le visiteur ravalait naturellement ses interrogations et ses supputations. Heureux et rassuré de se retirer sans faire de bruit. Pieds nus, cela va de soi...
EDMUND HILLARY
L'art de soulever les montagnes
Pauline accuse quatre-vingts ans et une sérieuse propension au bavardage. Accessoirement elle est la mémoire de Tuakau, petit bourg esseulé dans la verdure à une soixantaine de kilomètres au sud d’Auckland. Rien de ce qui occupe la communauté ne lui échappe et surtout pas les antécédents de son enfant le plus renommé, vainqueur de l’Everest de surcroît. Ah ! Sir Edmund ! « Il jouait par ici... Il courait par là... Il habitait juste au bout de cette petite rue... » Une maison bien modeste à dire vrai : un cube de bois soutenu par trois marches de béton, une façade aux dimensions raisonnables et un jardin qui, de toute évidence, a connu des jours meilleurs.
« Venez, venez, je vais vous montrer l’intérieur... » Sollicitude inutile : c’est dehors que prospérait le clan Hillary. Que s’élevait le hangar où le père écrivait et imprimait une modeste feuille locale sur une presse d’un autre âge ; que batifolaient les sept vaches sur lesquelles les préposés à la traite installaient un lutrin leur permettant de lire en même temps qu’ils accomplissaient leur corvée quotidienne; que s’éparpillaient pas moins de mille six cents ruches qui garantissaient une production de vingt à soixante tonnes de miel chaque année et donc l’essentiel des revenus familiaux... « Un jour, je m’en souviens, Edmund m’a donné deux beaux pots remplis à ras bord, mais en fait, je crois qu’il ne s’intéressait pas trop aux filles... »
Pelotonné dans le salon-bibliothèque de sa villa située sur les hauteurs
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