Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
tard – ne savaient pas nager ! Cette inconséquence le navra. Et tout autant les statistiques de l’ONU qui lui apprirent qu’à la même époque, un naufragé sur deux de par le monde se révélait incapable de survivre au-delà d’une demi-journée. Parce que privé de boissons ou nourritures indispensables? Sans doute, mais plus encore parce que victime d’une baisse de confiance et de moral par trop handicapantes.
Petit à petit, la démonstration atlantique révéla le bout de son flotteur... Et son postulat indispensable qui supposait que l’eau salée pouvait être un judicieux palliatif pour regagner un minimum de forces physiques et psychologiques. Dans son laboratoire, Bombard avait maintes fois répété l’expérience : bue en très petites quantités, l’eau de mer se révélait un soutien providentiel. Tout comme la chair des poissons qu’il avait pris l’habitude de presser dans un chiffon afin de gagner quelques gorgées de liquide réparateur. Encore convenait-il de démontrer in situ la pertinence de cette hypothèse. De se jeter à la mer en quelque sorte !
Ce que Bombard fit dès 1951. Avec pour premier objectif une traversée de la Manche à la nage envisagée sans aide d’aucune sorte si ce n’est deux épaisses couches de graisse dont il s’était badigeonné le corps de la tête aux pieds. Las, la tentative tourna court qui obligea l’étudiant à rebrousser chemin plus tôt que prévu et à se débattre trente et une heures durant pour rejoindre Le Hourdel où, coquetterie rafraîchissante, il mit un point d’honneur à refuser le verre d’eau qu’on lui tendit. « Non, insista-t-il, non sans fierté, je ne suis pas le moins du monde déshydraté ! »
De bouquins en théories, Bombard – ses joues généreuses, son ventre rebondi – s’intéressa, chaque jour davantage, aux jeûnes et aux privations. Jusqu’à imaginer son sacrifice suprême : venir à bout de l’Atlantique, certes à bord d’un canot de sauvetage cette fois, mais sans vivres, ni eau, cela va de soi. En relisant les attendus de cette douce folie, en écoutant son auteur détailler ses préparatifs, on ne peut qu’être abasourdi par l’audace et la précarité d’une expérience vraiment unique dans les annales de l’aventure.
Le Zodiac choisi avait trois ans d’âge. Il mesurait 4,60 m de long et 1,90 m de large et était doté d’une voile microscopique de 3 m 2 . Un sextant, quelques cartes et une poignée d’hameçons : c’est tout ce que Bombard toléra à son bord. Et un équipier pour faire bonne mesure. Du moins entre Monaco et le Maroc. Après, « Jack Palmer, un homme charmant au demeurant, hésita. A Casablanca, il prétexta avoir oublié quelque chose à l’hôtel. Je l’ai attendu en vain et suis parti... »
Le « naufragé volontaire » n’avait pas baptisé son canot l’ Hérétique par hasard. Le costume de ville arboré au départ de France, son discours d’adieu, définitif et enflammé, la cargaison de livres – de Spinoza à Cervantès, en passant par Eschyle, Rabelais ou Shakespeare ! – entassés au fond de sa bouée n’incitaient guère l’opinion à prendre très au sérieux l’extravagante entreprise de son propriétaire. D’ailleurs les scientifiques faisaient la fine bouche et les militaires préconisaient une batterie de tests psychologiques préalables. Circonstances aggravantes : l’entêté avait pris le parti, pour sa grande traversée, d’abandonner les lignes et le fusil qui l’avaient accompagné à travers la Méditerranée. Désormais démuni et seul, il entendait pousser son expérience de survie à son paroxysme et vivre son ascèse au maximum de ses convictions.
Avec la lame de son couteau recourbé fixé à l’extrémité de l’un de ses avirons, Bombard captura un premier poisson, une daurade, le sixième jour, et un second trois jours plus tard grâce à un crochet osseux prélevé sur le premier. Deux timides réconforts au regard des multiples privations accumulées par ailleurs. On n’insistera jamais assez sur les mérites du bon docteur. Et sur son courage. Abcès, peau irritée, diarrhées, hémorragies, tension en chute libre : rien, au cours de cet interminable voyage, ne lui a été compté ni épargné. « C'est parce que je voulais démontrer quelque chose que je ne suis pas mort. Cela aurait été si simple de me laisser aller, de m’endormir... »
Après cinquante jours de solitude et de manque, l’extrémiste fut
Weitere Kostenlose Bücher