Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
je roule ma bosse, je n’ai jamais rencontré un aventurier qui ne soit pas un tant soit peu égoïste. Le problème est qu’à ma connaissance je suis le seul à l’avouer sans honte. »
Il n’y a pas si longtemps, les habitants de Merano, joli bourg situé à une vingtaine de kilomètres de là, avaient organisé une réception en l’honneur du héros. Passé les civilités et les remerciements, le maire entonne un couplet de circonstance : « La ville, la région, le Tyrol du Sud, l’Italie sont fiers de vous. » Applaudissements. Messner monte à la tribune, sort un mouchoir de sa poche et le brandit au-dessus de sa tête : « Ce bout de tissu est mon seul drapeau, je n’appartiens à personne, si ce n’est à moi-même. » Un ange passe. Le soir même, l’iconoclaste retrouve sa voiture détruite et maculée de slogans nationalistes.
« La signature de l’imbécillité », souffle Messner. Qui insiste : « Je n’ai jamais planté le moindre drapeau au sommet d’une quelconque montagne. Je trouve ça parfaitement hypocrite et dangereux. Tous ces oriflammes aux Jeux olympiques ou ailleurs, tous ces débordements dans les stades de football me font peur. Une fois de plus, regardons en arrière et retenons les leçons de l’histoire. N’oublions pas les expéditions de Willy Merkel dans les années 1930, directement financées par Adolf Hitler ! Il s’en est fallu d’un rien que le drapeau nazi ne flotte au-dessus de l’Himalaya ! »
Dans sa bibliothèque, rangée avec à peine moins de méthode que celle des moines bénédictins du Nom de la rose , Reinhold Messner devient vite intarissable sur le sujet. Mais s’il se réfère aux plus grands, s’il appelle à la rescousse les Nansen et autres Shackleton, ce n’est pas tant pour mesurer le mérite de leurs expériences que pour augmenter encore son propre degré d’exigence. « Bien sûr les temps changent, les techniques évoluent, les moyens de communication ne sont pas les mêmes, mais le regard que le public porte sur les aventuriers, lui, ne devrait pas varier. C'est nous qui devons redoubler de vigilance, c’est nous qui devons nous montrer dignes, intègres et authentiques. »
Pour maintenir son cap, Messner, hier suspendu aux plus hautes montagnes de la terre, est allé chercher ailleurs sa vérité. Sur le plan horizontal, dans les déserts du Néguev ou du Sinkiang, dans les immensités de l’Arctique ou de l’Antarctique. Parce que, dit-il, « le progrès a modifié mon point de vue. Aujourd’hui on peut grimper l’Everest en vingt-quatre heures ou presque. Bien sûr les derniers mètres sont pénibles, et le risque existe, mais la répétition des ascensions a fait que le mystère s’est, petit à petit, évanoui. Les longs raids m’ont permis de revenir à l’essentiel. Si l’alpinisme réclame de la concentration, la marche invite à la méditation. Ce qui est au moins aussi intéressant ». Messner s’emballe : « L'homme n’est pas fait pour courir ou pour conduire une voiture, ni même pour grimper (les singes le sont...), il est fait pour se déplacer à pied d’un point à un autre de la terre. L'homme doit absolument réapprendre à marcher. »
Comme son copain Werner Herzog, cinéaste et poète, qui, un jour, a rallié Munich à Paris par ses propres moyens et composé sur le sujet un formidable livre de bord, Sur le chemin des glaces , l’apôtre des déplacements au long cours croit dur comme fer à la prééminence de ce moyen de locomotion sur tous les autres. « Si nous perdons l’usage de nos jambes, pronostique-t-il, nous risquons vraiment de mettre notre civilisation en péril. » A peine libéré de son précédent bouquin, Messner songe, sérieusement, à écrire un livre à ce propos : « J’y pense depuis un certain temps déjà. Il y a tellement de vérités que nous négligeons qu’il convient de répéter sans cesse... »
Une manière de retour aux sources. Loin des expéditions de gros calibre et des croisades médiatiques plus ou moins calculées. Messner ne s’en cache pas : il n’aime guère la tournure prise par l’aventure spectacle depuis un certain nombre d’années. Il n’a pas apprécié, par exemple, la Transantarctica orchestrée par Will Steger et Jean-Louis Etienne en 1989-1990 et encore moins les arguments qui ont commandé son organisation. « C'était un raid sans doute épuisant et monotone, mais avec trop d’arrêts, trop de dépôts, trop d’assistance et qui
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