Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
véhiculait en prime un message parfaitement ridicule : ces cinq aventuriers venus de cinq continents différents qui tentaient de nous faire croire, l’espace de quelques semaines, que l’entente mondiale était à nos portes. De qui se moque-t-on ? Cela a sans doute intéressé les sponsors et séduit les enfants, mais ce barnum était, sur le fond, totalement hypocrite. Personnellement je profite de ma notoriété pour parler, le cas échéant, d’écologie, mais, nuance, je ne monte jamais une expédition sous ce seul prétexte. Autant rester à la maison et financer une usine de retraitement des déchets. C'est plus efficace et plus concret. »
Pendant que nos cinq missionnaires cathodiques, leurs dizaines de chiens et leurs tonnes de matériel traversaient l’Antarctique d’ouest en est, Messner, accompagné de l’Allemand Arved Fuchs, parcourait 2 800 kilomètres du nord au sud de ce même continent. Sans soutien extérieur et au gré de deux dépôts seulement. Dans son livre de bord, le puriste ne ménage pas son compagnon. Il se plaint de sa lenteur et mentionne jusqu’au plus petit détail de leur mésentente. « Pourquoi cacher la vérité ? Une expédition est rarement une partie de plaisir. Elle est faite de douleurs et de joies. C'est le mélange des deux qui est intéressant et qui permet de s’enrichir. Arrêtons de tromper les gens et de les illusionner. J’ai perdu mon frère en montagne, on m’a fait porter cette croix pendant des années et j’ai dû me battre comme un fou pour faire admettre la vérité. Ce sont aussi ces malheurs et ces épreuves qui m’ont permis de devenir ce que je suis. »
Même lorsqu’il parle de sponsors, de ce piège qui menace désormais tout aventurier et qui le contraint, d’une manière ou d’une autre, à rendre des comptes à celui qui autorise et finance ses expéditions, Messner détonne : « On m’a reproché de faire de la publicité pour une marque automobile en plein cœur de l’Antarctique. C'est vrai que c’est ridicule. Mais de moi ou de la marque en question, je ne sais pas qui est le plus ridicule des deux. Je me moque de cet annonceur. Mes contrats ne m’obligent pas à faire le beau. Je dis ce que je veux, quand je veux, comme je veux. Si certains annonceurs veulent me donner de l’argent pour faire ce que je fais, ça les regarde. Moi, je l’accepte parce que ces sommes me permettent de garantir ma liberté. »
Sur le linteau de la grande salle à manger du château de Juval, une citation en latin résume assez bien le personnage de Messner : Qui se destine à la victoire vaincra. « J’aime bien cette phrase. C'est en grande partie à cause d’elle que j’ai acheté ce château. Elle correspond assez bien à mon état d’esprit. » Elle résume surtout les fondements de la motivation d’un bipède décidément fait d’un autre bois que la moyenne de ses contemporains. Dans un autre de ses livres ( Maître des cimes ), Reinhold Messner enfonce le clou un peu plus : « Si j’étais un surhomme, avec une force physique et psychique supérieure, si j’étais plus résistant, plus doué pour la vie que les autres, mon savoir ne serait d’aucune utilité. »
Il est l’heure de partir et de refermer le grand livre des illusions. La lourde porte cloutée pleure sur ses gonds. Au loin, les Alpes tridentines rougeoient et Lhassa n’est plus qu’un rêve. Certes il n’est jamais très plaisant de redescendre sur terre, mais emprunter le chemin de Juval à rebours équivaut à une bien agréable punition.
PETER BLAKE
Le chevalier de l’onde
L'île de Wight irradiait. Sous un soleil d’or et une ambiance de garden-party, la Mecque du yachting international jubilait de fêter le cent cinquantième anniversaire de la Coupe de l’America. Sur les bords du Solent, il y avait des portefeuilles rebondis en quantité et des antiquités flottantes en veux-tu en voilà. Mais il y avait aussi de belles camaraderies rassemblées au terme de chaque régate sous un chapiteau sans façon d’où montaient des effluves de fish and chips saturés de bière rousse tout juste sortie du fût. Au milieu des équipiers hilares, Peter Blake baladait son double mètre en terrain de connaissance. Lui aussi trinquait et partageait. Les fastes de la Coupe n’étaient plus pour lui, mais pas le partage d’un bord tiré au cordeau ou la satisfaction d’en débattre à l’infini.
Il revenait tout juste d’une balade antarctique où il avait
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