Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
Au-delà de cette kyrielle d’aventures, l’équilibriste revenu de tout refuse la paix et le repos. Il ne se sent en confiance que dans le combat et l’adversité. Avec lui rien n’est jamais anodin. Au contraire, les superlatifs sont toujours au rendez-vous. Le drame jamais très loin, et les hallucinations tout autant. L'ensemble de ses livres – environ soixante-dix en langue allemande et près d’une trentaine en français ! – sont autant de morceaux de bravoure, farcis d’assertions péremptoires et de coups de cœur définitifs. Mais comment ne pas prendre pour argent comptant ce que dit celui qui, à chaque fois, et de manière schizophrénique, parvient à transcender sa peur au-delà de la « zone de la mort » (l’expression est de lui)?
Reinhold Messner parle comme il grimpe : sans se préoccuper le moins du monde ni des conventions ni du jugement d’autrui : « Je suis venu m’installer ici en 1983. C'est d’abord pour avoir la paix. Pour échapper aux curieux et éviter que quelques fous ne viennent me prendre en photo par la fenêtre de ma chambre à coucher comme c’était le cas dans ma précédente maison. Je suis ici pour me recueillir, pour réfléchir, pour écrire. Mais la principale raison qui m’a poussé à m’installer là, c’est que ce château m’offrait la possibilité d’entreprendre. Je suis un bâtisseur, pas un contemplatif. Un jour, je partirai ailleurs parce qu’ici je n’aurai plus rien à faire de mes mains. »
La visite du propriétaire est menée au pas de charge. A grand renfort de gestes démonstratifs, sous une cascade d’anecdotes choisies. Occupé par les Lombards, conquis par un prince teuton, récupéré par un comte du Tyrol, restauré par le fils d’un orfèvre autrichien, accaparé par un groupe de paysans vindicatifs, dépecé puis rebâti, le château de Juval a échoué aux mains d’un planteur d’hévéa en 1930. Revenu de Malaisie, ce curieux commerçant hollandais aux poches pleines d’or n’avait, semble-t-il, d’autres préoccupations que celle de dilapider son capital. Sa famille y a perdu une occasion de couler une vie tranquille, mais le Tyrol a gagné, en échange, une citadelle Renaissance du plus bel effet.
Depuis dix-huit ans, Messner se sent quelques liens de parenté avec ce philanthrope au goût si sûr. Dans un petit coin reculé de la cour intérieure, il a d’ailleurs aménagé une sorte de chapelle à son intention, où figure son portrait, ceux de ses proches et la représentation des mille et un travaux de restauration qu’il a orchestrés. « J’aime ce type de personnage, explique le continuateur de ses œuvres. J’aime l’idée selon laquelle il est toujours plus intéressant de cultiver le passé, de comprendre les tenants et les aboutissants de notre monde tel qu’il s’est petit à petit échafaudé, plutôt que de se lancer à corps perdu dans le progrès et la modernité. »
L'argument revient comme un tic. Messner vit au présent, mais il refuse de bâtir sa vie sur du vide. Lui le montagnard, élevé à la dure au sein d’une famille nombreuse, fils d’un père instituteur et d’une mère dévouée à la tâche, réclame des fondations solides, des références crédibles, un indispensable recul sans quoi toutes les initiatives, même les plus valeureuses ou les plus échevelées, n’ont, à ses yeux, aucune raison d’être.
Il reconnaît : « D’une certaine manière, je me suis piégé moi-même en voulant devenir le premier à gravir les quatorze “ 8 000 ” de la terre. La fin de ce projet a été un peu fastidieuse, j’avais l’impression de me répéter. Mais là n’était pas l’essentiel. J’étais surtout heureux d’avoir préservé certaines valeurs. D’avoir défendu bec et ongles l’idée d’un alpinisme naturel, avec un minimum de soutien et d’intendance. L'important pour moi était d’être parvenu au sommet du monde mais aussi au terme du projet que je m’étais fixé, au mépris des sarcasmes et des pressions extérieures. »
Au risque de passer pour un individualiste forcené, Messner concède qu’il accumule les exploits (une cinquantaine à ce jour) pour son seul et unique plaisir. Pour, dit-il avec un rien de gourmandise « goûter intensément de vrais morceaux de vie ». Loin de lui l’intention de fournir un semblant de vérité, de montrer une voie à suivre ou, pire encore, de délivrer un quelconque message. Il plaide : « Depuis quarante ans que
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