Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

le désormais invincible skipper accédait soudain au statut de modèle fait de pondération et de réflexion qui aurait découvert la recette des conquêtes maritimes inévitables. Dès lors, il fut question de « système Blake » ou de « méthode Blake », de labels qui, à chaque fois, sous-entendaient un savoir-faire capable de fédérer les énergies, de les motiver et de les conduire à un degré d’excellence inimaginable.
    Révélé en même temps que son pays se découvrait des financements, des constructeurs et des équipiers comme s’il en pleuvait, cet avantage acheva d’asseoir sa réputation en l’espace de quelques saisons seulement.
    Le temps de se familiariser un peu plus avec la Coupe de l’America ou le Trophée Jules-Verne par exemple. Dans l’un comme dans l’autre cas, Blake savait qu’il avait beaucoup à apprendre. Mais sa curiosité tout autant que son charisme lui permirent de prendre des raccourcis à peine croyables. Un record et une Coupe plus tard, le méthodique fut élevé au rang d’icône, considéré comme un héros par son pays tout entier, et anobli par la Reine.
    Sans doute Pipa qui peint aussi bien que son mari naviguait eût aimé le voir jeter l’ancre de manière définitive à ce moment bien précis. Comme une histoire revenue sur les terres de ses tout premiers arguments, le couple passait d’ailleurs de plus en plus de temps dans leur belle villa noyée de verdure qu’un simple bras de mer sépare du centre d’Auckland. Entre ces hauts et beaux murs blancs, Peter se sentait de plus en plus proche de sa vérité et de ses meilleurs souvenirs d’adolescent. Avec sa mère installée dans la rue adjacente et sa sœur deux pâtés de maisons plus loin, il n’avait pas à s’employer beaucoup pour rapporter à ses enfants ses premiers jeux. Ses parties de rugby sur la pelouse de la Takapuma grammar school , située en haut de la côte, et ses premiers ronds dans l’eau effectués au club nautique de Baywater à peine distant de un kilomètre.
    Investi d’une mission d’ordre national, Blake s’imposa néanmoins un post-scriptum final : organiser et conserver la Coupe de l’America dont l’édition nouvelle était programmée à cheval sur le changement de siècle. Comment refuser ? Le pensum se termina en apothéose, mais n’alla pas sans susciter quelques mécontentements. Le modèle fut, de temps à autre, montré du doigt, ses adversaires l’accusèrent de mégalomanie, il s’enferra dans des affaires exagérément mercantiles, mais parvint néanmoins à conserver son cap.
    Ce que voulait Peter c’était retrouver à tout prix sa liberté, son droit à l’émotion et son goût des horizons lointains. Son bateau explorateur devait être une nouvelle porte ouverte sur l’avenir. Il se sentait heureux et utile à la fois. Six mois après son passage à Cowes, dans un sombre sous-bois brésilien, aux environs de Macapa, près de l’embouchure de l’Amazone, il est, malheureusement, mort d’avoir voulu caresser son rêve au plus près. Tombé sous les coups de quelques pirates sans foi, comme Tabarly dans une mer sans fond. Bêtement assassiné. Banalement cambriolé. Mais avec chevillé au corps, comme le grand marin français, la certitude que ce contexte inattendu, ce bout du monde incertain, étaient ceux qu’il s’était vraiment choisis. Sans contrainte ni obligation d’aucune sorte. Comme une fatalité, comme une inconséquence.

BORGE OUSLAND
    Sans perdre ni le nord ni le sud
    Les Ousland n’apprécient guère les automobiles. Le père n’a jamais jugé utile d’en posséder une, ni même de passer son permis. Son fils est moins catégorique, mais il s’est néanmoins séparé de la sienne il y a une bonne dizaine d’années. Un mal pour un bien : dans le garage de bois blanc qui jouxte sa maison perchée sur les hauteurs d’Oslo, Borge a aménagé son bureau. Une tanière installée à la lisière d’une forêt de sapins sombres que l’on imagine s’étirer jusqu’aux confins de la Norvège. Un havre encombré de cartes et de souvenirs divers, de livres et de photos accumulés qui évoquent des expéditions plus excessives encore. Il est facile d’assimiler le skieur glacé – le premier homme à avoir atteint les deux pôles en solitaire, le premier, aussi, à avoir traversé de part en part et l’océan Arctique et le continent antarctique – à un ours mal léché. Un anachorète pressé de fuir les contingences et les