Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
nombreuses excursions, d’autant qu’elles ont déterminé l’essentiel de ses convictions et de sa philosophie. Sur une étagère, il désigne son journal et en extrait un morceau d’écorce qui lui sert de marque-page : « Ce petit rien ne me quitte jamais. Au beau milieu de nulle part, il me rappelle certaines priorités et me permet de demeurer en phase avec la nature qui m’entoure. »
Un peu plus loin, Borge soupèse un galet poli, caresse un coquillage, effleure une plume d’oiseau : « Perdus au fond d’une poche, égarés dans un sac à dos, ces souvenirs insignifiants me rattachent à la vie. Après quelques semaines de solitude, coupé du monde, seules les fonctions primaires de l’existence importent : se déplacer, manger, dormir. J’aime cette sensation, ce retour aux origines, cet état quasi animal. Mais j’apprécie surtout de me savoir partie intégrante d’un tout. Un élément de la nature qui agit, se détermine, comprend... »
C'est en souvenir d’un lointain programme radiophonique consacré à la traversée groenlandaise de Nansen que l’admirateur a, pour la première fois, pénétré le monde du froid. 800 kilomètres de pénitence à travers l’île Verte en guise d’introduction. Suivi de deux raids plus importants et plus septentrionaux : le premier aux environs de la Terre François-Joseph (où il manqua de se noyer avec Agnar Berg), le second en direction du pôle Nord (atteint en compagnie de Erling Kage). Au printemps 1996, Ousland franchit une étape supplémentaire et rallie le même objectif, seul et sans ravitaillement. Une première mondiale. Saluée par les spécialistes à défaut d’être cornaquée par les médias d’importance.
Le Norvégien se sent fort. Sans répit ou presque, il prévoit de réussir la même opération en Antarctique un an plus tard. Mieux, il annonce son intention de poursuivre sa route au-delà du pôle Sud et, toujours privé de toute aide et de tout soutien, de gagner l’autre extrémité du sixième continent ! Après quarante-quatre jours d’un raid soutenu, quarante-huit heures après avoir dépassé le pôle, l’athlète, blessé à l’intérieur de la cuisse gauche, est néanmoins contraint de renoncer. La mort dans l’âme, mais avec, à rebours, un bel accès de lucidité : « J’avais été trop arrogant, trop pressé. Dans ces régions reculées, il importe de se mettre au diapason et d’accepter de composer avec un environnement qui dicte la conduite à suivre plus qu’il ne la suggère. »
Nul n’avait fait mieux que lui, aucun explorateur ne pouvait se targuer de pareils enchaînements, mais qu’importe, Borge Ousland préfère taire son expérience ou à tout le moins refuse d’en tirer avantage. Incognito, il retrouve sa femme Wenche et son fils Max, la forêt voisine et les balades à ski qui vont avec. « Je voulais recouvrer mes esprits. Faire le vide dans ma tête. Mais je n’ai guère hésité avant de décider de repartir. Ce qui me retenait le plus, c’était la perspective d’échouer une deuxième fois. Heureusement je me suis persuadé qu’en cas de faillite, ma vie aurait toujours un sens et que je ne serais pas une moins bonne personne pour autant. »
Six mois encore et Borge reçoit un coup de fil de son copain polonais, Marek Kaminski : « C'est cette année ou jamais ! » D’autres expéditions, anglaises, coréennes sont recensées ici et là. Avec des objectifs si ce n’est semblables au sien en tout cas équivalents. De quoi déterminer notre Norvégien pour de bon. A l’extérieur du garage, Borge désigne un harnais, une chaîne et deux pneus accrochés à l’ensemble : un instrument de torture que l’on peine à déplacer ne serait-ce que de quelques dizaines de centimètres, mais que son inventeur a traîné derrière lui pendant des semaines pour parfaire son endurance ! « Là n’est pas l’essentiel, insiste le stakhanoviste. Ce qui compte lorsque l’on prépare ce genre de voyage, c’est moins de travailler sa musculature que d’endurcir son mental. La charge importe mais moins que la répétition. L'essentiel pour moi est d’oublier la routine de ma quête et de m’imaginer, tout au contraire, petit flocon de neige perdu au milieu de l’immensité. »
Il faut détailler le compte rendu de la traversée antarctique de Borge Ousland et recueillir ses impressions pour admettre la perfection d’une semblable transformation. Nulle plainte, pas la moindre pose,
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