Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables

efficace que toutes les radios et télévisions réunies. Une accumulation de reliques éparses et de talismans improbables, directement offerts par quelques-uns des plus grands aventuriers contemporains. Un morceau de la capsule américaine Mercury ; une photo dédicacée de Thor Heyerdahl ; un flacon d’eau salée récupérée à la verticale du pôle Nord par le sous-marin atomique Nautilus ; un dessin griffonné par Edmund Hillary. Et bien d’autres témoignages encore. « Je tournais là autour comme s’il s’était agi du plus beau des trésors. Et, patiemment, sans jamais me lasser, j’attendais de la voix de mon père les histoires qui s’y référaient. »
    Auguste et Jacques ayant pris les mesures du monde – en hauteur et en profondeur –, c’était bien le moins que leur postérité aspire à le circonscrire tout entier. Ou tout au moins cherche à le mieux comprendre. A appréhender ses secrets et deviner ses aspirations. L'apprentissage fut long, parfois hésitant. Comme n’importe quel autre enfant, Bertrand s’imagina d’abord conquérant. Copie conforme de son héros d’alors, le pilote de glacier Herman Geiger, qu’il rencontra et accompagna alors qu’il venait à peine de fêter son sixième anniversaire ! Il n’était guère plus âgé lorsqu’il suivit son père en Floride où la Nasa l’employa un temps. Installé aux premières loges, le gamin assista à la mise en orbite de plusieurs missions Apollo, croisa Neil Armstrong et Buzz Aldrin, les premiers piétons lunaires, et gagna cap Canaveral dans le propre avion de Werner von Braun, grand ordonnateur de ces mirifiques mises en scène spatiales.
    La logique eût voulu que l’adolescent poursuive cette voie et des études à l’avenant. Mais il fallait que son caractère s’affirme, que sa personnalité se trempe. « J’ai choisi médecine non pas pour me distinguer ou prendre mes distances, mais pour connaître une autre forme d’aventure. » Momentanément, Bertrand Piccard préfère l’insondable au quantifiable, l’inconscient au palpable, le diffus au réel. Chemin faisant, il se spécialise dans la psychologie, se familiarise avec les champs de conscience, étudie le taoïsme, découvre les théories de Gurdjieff, pratique l’hypnose. Le gène Piccard saurait donc mentir? Pas pour longtemps.
    Même absorbé par ses découvertes récentes l’explorateur du « dedans » ne néglige pas de lever les yeux au ciel. A l’occasion d’un séjour à la montagne, il découvre un « drôle d’engin volant », une aile delta inédite, dont il transforme, dans la seconde, le pilote ébouriffé en modèle à imiter. « A l’époque, ce type d’engin était totalement inconnu et ce gars-là un véritable pionnier. Et de les voir tous les deux jouer les oiseaux jusqu’à frôler la cime des arbres et des montagnes alentour m’a bouleversé jusqu’au plus profond de moi-même. » L'image le frappe à ce point que le transfert s’impose : pendant que ses études de médecine charrient leurs enseignements, le rêve d’Icare, imperceptiblement, se superpose.
    Bertrand Piccard aime les analogies et les allégories. Lorsqu’il développe une idée, il s’amuse à comparer et à rapprocher. Jamais, il ne se borne à énoncer une réalité brute. Toujours, il cherche à expliquer la part d’inconscient qui, souvent, l’accompagne. Avec lui, un avion, naturellement, s’élève, mais l’idée qu’il transporte tout autant. Sous la voûte du ciel, l’observateur privilégié ne se contente pas d’observer le monde, il cherche à en évaluer les contradictions. Parler avec Bertrand Piccard revient, sans cesse, à valoriser la naissance d’un acte plutôt qu’à se féliciter de sa portée.
    Concrètement, le pilote débutant s’envole. Il s’initie à la voltige et aux loopings. Aux commandes d’appareils rudimentaires – de simples toiles de nylon tendues par des armatures d’aluminium –, il gagne en liberté, atteint des sommets infréquentés, franchit des distances records. Secondé par un moteur d’appoint et deux flotteurs minuscules, il survole la Grèce, les Canaries et les Maldives. Jusqu’à ce fameux « grand saut » qu’il exécute, toujours accroché sous son aile pendulaire, de la nacelle d’une montgolfière, elle-même positionnée à près de 4 500 mètres d’altitude !
    Une prouesse doublée d’une révélation : « Certes aucune voile libre n’avait jamais tenté pareille dégringolade.