Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
aucune afféterie qui permette de jouer sur le traditionnel registre des souffrances et des peurs. Mais, au contraire, une curiosité et un don de soi qui ont valeur d’exemple. Chemin faisant, les évasions sont rares : quelques pages de Knut Hamsun juste avant de s’endormir; deux skis décorés par son fils qui toujours précèdent sa marche ; une cuiller offerte par un restaurateur chilien; une photo de famille...
Il dit : « L'essentiel en pareille circonstance est d’être positif, de s’occuper l’esprit. De réduire ses exigences, de ne jamais se faire plus grand et plus fort que ce que l’on est. De ne pas vivre que de chiffres et de distances parcourues, mais d’apprécier le dessin d’une congère, la couleur d’un ciel. Chaque jour, je m’étais fixé un objectif : trouver une sculpture de glace plus belle encore que celle observée la veille ! » A la cadence d’une vingtaine de kilomètres par jour, Borge rythme ses journées selon un rituel maniaque. Ses chaussures sont examinées chaque soir sous toutes leurs coutures et le calcul de sa direction régulièrement confronté à celui suggéré par l’ombre de ses bâtons. Il insiste : « A quoi sert la technologie si on ne comprend pas comment bat le cœur des éléments ? »
Au pôle, Borge ne s’arrête que quelques heures, confie ses films et vidéos aux scientifiques venus à sa rencontre mais refuse le café qu’on lui tend. Le moine-skieur est déjà ailleurs. Sur le plateau de Ross où son parafoil (sorte de cerf-volant d’appoint) le soulage des cent et quelques kilos qu’il traîne depuis plus d’un mois. Il remonte le parcours suivi, il y a près de cent ans, par son compatriote Roald Amundsen. Ce qu’il faut bien appeler la ligne d’arrivée n’est plus très loin. Et, tout autant, la satisfaction du devoir accompli.
Passé le réconfort d’une douche et d’une bonne nuit de sommeil, un préposé de la base de McMurdo l’invite à retourner (en avion !) au pôle Sud où, lui dit-il, une surprise l’attend. Borge n’est guère enthousiaste, mais la récompense est belle : c’est Edmund Hillary en personne, himalayiste et polaire de légende, en mission pour le compte des autorités néo-zélandaises qui l’accueille et lui sert le compliment définitif : « Vous êtes un vrai aventurier parce que vous n’avez jamais cherché à vaincre la nature, mais seulement vous-même. »
2 845 kilomètres parcourus en 64 jours, soit 44 kilomètres avalés chaque vingt-quatre heures : Ousland a traversé le continent antarctique comme un éclair. En profitant d’un terrain extrêmement plat, d’une bonne visibilité et de vents généreux. Trois avantages essentiels dont il ne peut espérer l’assistance au moment d’envisager son ultime voyage, son expédition essentielle : la traversée de l’océan Arctique, de l’extrême nord sibérien à l’extrême nord canadien. Un raid plus court de près de mille kilomètres que celui qu’il vient d’entreprendre, mais agrémenté d’une multitude d’obstacles et de difficultés en échange.
Là où l’Antarctique est plat et uniforme, l’Arctique est un capharnaüm de voies d’eau et de détours infinis. Un tapis mouvant piqué d’accidents glacés qui, sans cesse, entravent et ralentissent l’avancée des explorateurs. Un labyrinthe où le white-out – brouillard infrangible et poisseux – masque en permanence l’horizon. Sans compter les courants de dérive qui agitent la banquise comme une coquille de glace et parfois transforment une journée de marche en avant en une nuit de cauchemar à reculons. A quoi il faut encore ajouter quelques ours patibulaires comme pour mieux souligner le précaire et la dangerosité d’un semblable voyage.
Si les expéditions ne sont pas moins rares en Arctique qu’en Antarctique, elles sont d’évidence beaucoup plus aléatoires. L'ouverture des frontières russes au début des années 1990 a, en partie, atténué les difficultés du challenge. Mais en partie seulement. En partant du cap Arktichevsky, extrême pointe terrestre du pays, situé à 80° de latitude nord, les voyageurs du pôle profitent de la dérive ouest, mais ils se ménagent aussi, en contrepartie, une fin de parcours très musclée. Poussée et ratatinée sur le continent nord-américain, la banquise offre à cet endroit précis des crêtes de compression de trois voire quatre mètres de hauteur qui imposent des escalades et des gymkhanas sans
Weitere Kostenlose Bücher