Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
bruits du monde. Les données sont plus complexes et plus rassurantes aussi.
Borge Ousland est un quadragénaire taillé dans la masse. Deux mètres de muscles trempés depuis l’adolescence et une volonté frappée à l’enclume d’une expérience infinie. Un être discret qui anime des conférences, écrit des articles et organise des raids, mais sans jamais forcer la cadence, sur la pointe des pieds, serait-on tenté d’écrire. S'il est déterminé et fier de nature, Borge est d’abord réservé et modeste. Aux antipodes en tout cas des aventuriers surmédiatisés qui, depuis trop longtemps déjà, se poussent du coude sur le devant de l’actualité. Sans doute y a-t-il du brise-glace chez lui, mais surtout beaucoup de lucidité. Il ne vous a pas encore versé une goutte de café dans la moque de métal qu’il vous tend qu’il vous prévient : « Parce qu’il profite de tas de soutiens technologiques, l’homme moderne a tendance à se croire plus fort qu’il n’est. Mais, de fait, il outrepasse souvent le cadre de sa raison. »
Comme tous les voyageurs de son temps, Ousland recourt, bien sûr, au carbone, au GPS, aux produits lyophilisés et aux vêtements synthétiques. Mais si son rendement est efficace et son abattage constant, c’est, précise-t-il, à son empressement et à sa méthode qu’il le doit en priorité : « L'exploration polaire relève d’un cercle vicieux : moins on passe de temps sur la glace, moins on consomme d’énergie et moins on tracte de nourriture. Forcément, avec un traîneau plus léger, le skieur ne peut qu’accélérer la cadence. Le problème est de trouver le parfait équilibre, le bon enchaînement entre les différents paramètres de cette quadrature. » Une vieille recette. Déjà adoptée par Amundsen, Rasmussen ou Freuchen ses antiques compatriotes qui, à une époque où les avions volaient à peine et les voitures pétaradaient tout juste, utilisaient déjà des charges minimales, des voiles d’appoint et des tentes microscopiques. Des solutions si déterminantes qu’elles leur permirent de prendre, haut la main, le pas sur les Britanniques, les Français ou les Américains.
De sa fenêtre, Borge Ousland entr’aperçoit le faîte du toit qui, sur la presqu’île de Bygdoy, abrite le Fram , le célébrissime bateau polaire de Fridtjof Nansen. Le raccourci n’est ni fortuit ni négligeable. Entre l’arpenteur courageux de la calotte glaciaire (de 1888 à 1896) et son lointain imitateur existe plus d’un lien de parenté. Que l’on ne s’y trompe pas : malgré ses moyens de communication up to date, ses balises Argos, le Kevlar et le titane qui composent l’essentiel de son équipement, Ousland navigue dans le droit sillage de son maître. Comme lui, il sait que sur la terre gelée qu’il fréquente rien ne fleurit sauf l’humilité et le respect, les deux priorités qui dictent sa conduite depuis toujours.
Avant d’embrasser les deux pôles de ses spatules (le Nord en 1994 et le Sud en 1996) et de se colleter par la suite avec les traversées des deux mondes blancs les plus secrets de la planète (l’Antarctique en 1997 et l’Arctique en 2001), le grand Borge n’a brûlé aucune étape. Né à Nesodden, promontoire rocheux planté dans l’opale de la baie d’Oslo, il a toujours skié, crapahuté et grimpé, homme de marbre frotté aux richesses des terrains environnants. « J’ai d’abord su nager sous l’eau, avant de me débrouiller à la surface ! » En vertu de quoi, l’athlète amphibie choisit de revêtir la combinaison du plongeur et de passer près de douze ans au service de la Comex à installer des plates-formes pétrolières en mer du Nord !
Un apprentissage réfrigéré qui annonçait des prolongations plus radicales encore. Moins commandées par le goût de la surenchère que par la soif de mieux se connaître : « Ce qui compte ce n’est pas de conquérir le sommet de l’Everest ou le plus profond de la fosse des Mariannes. Ce qui importe, c’est d’accompagner au mieux les forces de la nature, de s’accoutumer au monde qui nous entoure, de s’adapter à ses contradictions. »
Les enfants Ousland (un frère, deux sœurs) furent à bonne école. Couvés par un couple de peintres, obligés de s’égarer dans la publicité pour vivre, mais qui auraient sans doute préféré se perdre pour de bon sur les sentiers de Holmenkolen, les bois de Buskerud ou les rivages de Kristiansand. Borge n’a pas oublié ces
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