Aventuriers: Rencontres avec 13 hommes remarquables
fin.
Pendant un an, Ousland redouble d’efforts en vue de la grande traversée. Il s’entraîne le dos lesté d’annuaires téléphoniques, les hanches entravées par des charges toujours plus lourdes. Il imagine un nouveau traîneau en carbone-Kevlar plus rond, plus aérodynamique ; teste une combinaison de survie en polyuréthane pour traverser les bras de mer à la nage; prévoit des rations alimentaires à teneur calorique progressive (jusqu’à 7 000 Kcal/jour) ; déclare la guerre au poids, sacrifie son manche de brosse à dents et se contente de préservatifs pour envelopper ses pellicules photographiques. Fin février, il est à Sredny, à quelques encablures du cap Arktichevsky. Le départ est pour demain. Très vite il s’aperçoit, à son grand désespoir, que son traîneau donne de la bande : victime d’un vice de construction et d’un problème de raccord.
Une tôle d’aluminium est supposée faire la soudure ; mais après seulement vingt kilomètres, tout est à reprendre. Borge perce (à la main) 262 trous dans sa coque et tricote un filet de Kevlar supposé salvateur. L'opération lui coûte trente-six heures et autant de litres de sueur. Nouveau départ, léger sursis, et constat navré : la pulka rend définitivement l’âme au terme du dixième jour! L'idée d’une traversée en totale autonomie ne tient plus. Mais Ousland a déjà pris sa décision. Une équipe de secours apporte un engin de rechange, avec l’espoir que la bête de somme et de courage qui le précède ne présume pas de ses forces. 82 jours et 1 995 kilomètres plus tard, Borge Ousland arrive à bon port. Il a perdu 17 kilos mais gagné le respect de tous pour toujours.
BERTRAND PICCARD
Deux semaines en ballon
Bertrand Piccard est partout et nulle part à la fois. Souvent à Lausanne, où il exerce ses fonctions de médecin et apprécie de se retrouver en famille, mais tout autant à Albuquerque, Munich ou Tokyo où l’appellent sa notoriété, ses curiosités et ses projets. Croiser cet aventurier dans les coursives de l’aéroport de Genève-Cointrin est naturel. Mais un grand hôtel de Dijon, les salons du Sénat à Paris ou le musée de l’Air et de l’Espace de Washington peuvent se révéler tout aussi favorables à l’échange. Sollicité ici et là, Bertrand Piccard n’est jamais à court d’anecdotes, en mal de confidences. Souriant, tonique, il apprécie par-dessus tout d’éclairer et d’expliquer. Sans doute a-t-il été professeur dans une autre vie. Ses talents d’orateur sont en tout cas remarquables et ses conférences appréciées du plus grand nombre. Peut-être parce qu’à la différence de tant d’autres elles invitent plus qu’elles n’infligent, suggèrent plus qu’elles ne commandent.
Question de gènes et d’éducation. Personne ne l’ignore : le dernier du clan Piccard, né en 1958, a de qui tenir. D’un exceptionnel grand-père, chercheur et savant, qui visita la stratosphère à bord d’une capsule rudimentaire en 1931 et d’un père tout aussi téméraire, ingénieur et entrepreneur, qui, à l’inverse, se posa au fond de la fosse des Mariannes, le point le plus « profond » de notre planète, en 1960. Mais il a surtout baigné dans une atmosphère familiale propice qui, sans relâche, l’incita à balader son regard bleu acier par-delà les habitudes et les usages. D’autres se seraient plaints de voir leurs mérites mesurés à l’aune de deux si intimidantes références. Pas Bertrand. Qui jamais n’a boudé cet avantage. Nul mieux que lui ne sait parler de l’ « esprit » Piccard. De cette appétence si particulière qui commande à ses adeptes de lever les tabous ou convaincre les pleutres.
Habité, le continuateur des œuvres familiales insiste : « Ce qui est intéressant dans la vie, c’est le mystère, c’est le doute. Dans les années 1920, Costes et Bellonte avaient baptisé leur avion le Point-d’interrogation et Jean-Baptiste Charcot son bateau le Pourquoi-Pas ? Je trouve ces deux initiatives magnifiques. Les bienfaits que génère une question sans réponse sont immenses. Ils anticipent l’invention et, plus encore, l’imagination. Or qu’est-ce que l’aventure si ce n’est la promesse d’un rêve qui ne se concrétiserait jamais? »
Longtemps, au beau milieu du salon familial, Bertrand Piccard a campé devant un meuble-vitrine aux allures de caverne d’Ali Baba. Une ouverture sur le monde de la science et de l’exploration plus
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