Azincourt
pourquoi le
faire ?
— Pour montrer que nous en
sommes capables. Et que les Français n’y peuvent rien.
— Et nous voyageons sans nos
grands chariots ?
— Nous n’aimerions point que
les Français nous attrapent, non ? sourit le prêtre. Ce serait un
désastre, jeune Hook ! Dès lors, nous ne pouvons prendre avec nous deux
cents lourds chariots, ils nous ralentiraient bien trop. Ce seront donc chevaux
et éperons.
— C’est important ! avait
annoncé sir John à ses hommes. (Il était entré dans la taverne Au paon et avait
assené un coup du pommeau de son épée sur un tonneau.) Êtes-vous réveillés et m’écoutez ?
Prenez des vivres pour huit jours et toutes les flèches que vous pourrez
porter ! Armes, armures, flèches et vivres, et rien d’autre ! Si je
vois un homme porter autre chose, je le lui ferai avaler et chier
sur-le-champ ! Nous devons avancer vite !
— Ce n’est pas la première
fois, dit le père Christopher à Hook le lendemain matin.
— Quand ?
— Ne connais-tu point
l’histoire ?
— Je sais que mon grand-père
fut assassiné et mon père aussi.
— J’aime tant les familles
bienheureuses, dit le prêtre. Mais songe à l’époque de ton arrière-grand-père,
quand Édouard était roi. Édouard le Troisième. Il était ici en Normandie et
décida de marcher au plus vite sur Calais, mais il fut pris au piège à
mi-chemin.
— Et il mourut ?
— Dieu non, il battit les
Français ! Tu as sûrement ouï parler de Crécy ?
— Oh, oui.
Tous les archers anglais
connaissaient Crécy, la bataille où les flèches d’Angleterre avaient décimé la
noblesse de France.
— Alors tu sais que ce fut une
glorieuse bataille, Hook, où Dieu favorisa les Anglais. Mais la faveur de Dieu
est capricieuse.
— Me dites-vous que Dieu n’est
pas de notre côté ?
— Je te dis que Dieu est du
côté du vainqueur, Hook.
Hook pensa un moment à ces paroles
tout en affûtant des pointes de flèches. Il songea à toutes les histoires de
vieillards de son enfance qui contaient les pluies de flèches sur Crécy et
Poitiers, et présenta son travail achevé au père Christopher.
— Si nous croisons les
Français, dit-il d’un ton ferme, nous vaincrons. Nous en enfoncerons comme
celle-ci dans leurs armures.
— J’ai le douloureux sentiment
que le roi pense comme toi, dit aimablement le prêtre. Il croit vraiment que
Dieu est avec lui, mais son frère n’est d’évidence point de son avis.
— Lequel ? demanda Hook,
car les ducs de Clarence et de Gloucester étaient tous les deux dans l’armée.
— Clarence, dit le prêtre. Il
fait voile pour l’Angleterre.
Hook se rembrunit à cette nouvelle.
Selon certains, le duc était un meilleur soldat encore que son aîné. Il examina
une flèche. La plupart des pointes étaient noires de rouille, mais celle-ci
était à présent bien affûtée et scintillait cruellement. Il en éprouva la
pointe dans sa paume, puis il mouilla ses doigts et lissa l’empenne.
— Pourquoi part-il ?
— Je pense qu’il désapprouve la
décision de son frère. Officiellement, bien sûr, il est malade, mais il me
paraît en remarquablement bonne santé pour un homme souffrant. Et bien sûr, si
Henry est tué, à Dieu ne plaise, Clarence deviendra le roi Thomas.
— Notre Henry ne trépassera
point, répondit Hook.
— Cela pourrait fort bien
arriver si les Français nous attrapent, mais même notre Henry a prêté oreille
aux conseils qui lui ont été prodigués. On lui a dit de rentrer, il voulait
marcher sur Paris, mais il s’est contenté de Calais. Et avec l’aide de Dieu,
Hook, nous devrions y arriver bien avant que les Français ne nous atteignent.
— À vous entendre, nous fuyons.
— Pas tout à fait, mais
presque. Songe à ta charmante Mélisande.
— Pourquoi ?
— Vois ainsi les choses :
les Français sont massés à son nombril et nous autres perchés sur son téton
droit. Nous voulons courir jusqu’au gauche en espérant que les Français
n’arriveront pas entre ses deux seins avant nous.
— Car sinon ?
— Sa gorge sera pour nous la
vallée de la mort. Aussi, prie que nous avancions vite et que les Français
continuent de dormir.
— Pas de manières ! avait
annoncé sir John à ses archers dans la réserve. Nous ne pouvons ranger les
flèches dans des tonneaux, car nous n’avons point de chariots pour les
transporter. Et nous ne pouvons user de disques. Aussi, faites-en
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