Azteca
grenouilles vivantes, axolotl et autres
créatures aquatiques pour complaire à Chalchiuitlicue. On alluma un feu dans
une urne et, grâce à une substance dont on l’avait arrosé, il dégagea une fumée
bleue. Malgré les bourrasques qui emportaient la colonne de fumée, celle-ci
s’éleva assez haut pour donner le signal à ceux qui se trouvaient près de la
source.
Alors, les prêtres jetèrent un prisonnier dans la cuvette à l’extrémité
de l’aqueduc ; ils lui ouvrirent le corps de la gorge à l’aine et le
laissèrent là pendant que le sang s’échappait. Puis un autre vint subir le même
sort. Au fur et à mesure que les cadavres étaient vidés de leur sang, on les
tirait de l’aqueduc pour laisser la place à d’autres. Je ne sais pas combien de
xochimiqui furent tués et sacrifiés, avant que le flot de sang arrive devant
Ahuizotl et les prêtres qui, tous, s’exclamèrent d’admiration devant ce
spectacle. Puis, on aspergea le feu avec un autre produit qui donna une fumée
rouge.
Le moment était venu pour Ahuizotl de procéder au sacrifice principal
et il avait pour cela une victime sur mesure. C’était une petite fille
d’environ quatre ans vêtue d’un costume bleu d’eau sur lequel étaient cousues
des pierres précieuses vertes et bleues ; son père s’était noyé peu avant
sa naissance, et elle était née avec une figure qui ressemblait à celle d’une
grenouille – ou à celle de la déesse Chalchiuitlicue. Sa mère avait vu toutes
ces coïncidences aquatiques comme un signe de la déesse et elle avait donné
volontairement son enfant.
Accompagné par les chants et les coassements des prêtres, l’Orateur
Vénéré mit la petite fille dans l’aqueduc. Maintenant l’enfant sur le dos, il
prit son couteau d’obsidienne dans sa ceinture. La fumée devint verte ; à
ce signal, les prêtres qui étaient à la source libérèrent les eaux. Je ne sais
pas comment ils procédèrent ; soit en retirant une sorte de bouchon, soit
en brisant une dernière digue de terre, soit en déplaçant un gros bloc de côté
ou encore par un autre moyen.
Grâce à la dénivellation, l’eau arriva avec une force incroyable, comme
une immense flèche liquide à la pointe d’écume rose. Mais la masse entière de
l’eau ne suivit pas dans le coude que faisait l’aqueduc en rejoignant la
digue ; une partie déborda et se déversa sur le parapet comme une vague.
Cependant, il restait suffisamment d’eau dans la conduite pour prendre Ahuizotl
par surprise. Il venait d’ouvrir la poitrine de la fillette et de s’emparer de
son cœur, mais il n’avait pas encore eu le temps de sectionner les vaisseaux,
quand le flot emporta l’enfant encore frémissante. Son petit cœur fut arraché
et son corps fila comme une flèche en direction de la ville. Ahuizotl, ahuri,
tenait le cœur dans sa main.
Sur la digue, tout le monde semblait pétrifié ; seuls flottaient
les coiffures, les manteaux et les bannières de plumes fouettés par le vent.
C’est alors que je me rendis compte que j’avais de l’eau jusqu’aux chevilles.
Les femmes d’Ahuizotl se mirent à hurler de terreur. Sous nos pieds, le flot
montait rapidement et continuait à se déverser par-dessus le parapet. Le fort
d’Acachinango tout entier en était ébranlé.
Mais, dans l’aqueduc, la plus grosse partie du flux poursuivait sa
course vers la ville. Avec mon cristal, je voyais les spectateurs s’agiter dans
les éclaboussures et se battre pour se sauver au plus vite. Dans toute la
ville, cachée à notre vue, les conduites et les réservoirs qu’on venait
d’installer débordaient, inondant les rues et se déversant dans les canaux. Les
fontaines de la place jaillissaient si haut que l’eau ne retombait pas dans les
bassins qui les entouraient, mais se répandait sur toute la surface du Cœur du
Monde Unique.
Les prêtres de Chalchiuitlicue éclatèrent en un concert de prières,
suppliant la déesse de modérer ses bontés. Ahuizotl leur hurla l’ordre de se
taire, puis il rugit : « Yolcatl ! Papaquilztli ! »
C’étaient les hommes qui avaient trouvé la source. Ceux qui étaient présents se
présentèrent docilement en avançant à grand-peine dans l’eau qui nous arrivait
maintenant au genou. Ils savaient bien pourquoi on les avait appelés et ils
s’inclinèrent l’un après l’autre contre le parapet. Sans aucun geste, ni aucune
parole rituels, Ahuizotl et les prêtres leur déchirèrent la
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