Azteca
poitrine, leur
arrachèrent le cœur qu’ils jetèrent dans les eaux déferlantes. Huit hommes
furent ainsi sacrifiés dans un acte désespéré. Deux d’entre eux étaient des
membres augustes du Conseil. Cette mesure n’eut aucun effet.
Alors Ahuizotl s’écria : « Fermez l’aqueduc ! » Et
aussitôt, plusieurs Chevaliers-Flèche bondirent vers le parapet. Ils tentèrent
d’engager le panneau de bois dans ses rainures mais ils eurent beau peser de
toutes leurs forces et de tout leur poids, ils ne parvinrent pas à l’enfoncer
davantage. Dès que le bas de la planche touchait l’eau, la force du courant la
faisait aussitôt remonter. Un grand silence se fit sur la jetée, on n’entendait
plus que le grondement de l’eau, le sifflement du vent, les craquements du fort
de bois assiégé par le flot et le brouhaha assourdi de la foule qui se
dépêchait de fuir à l’extrémité de l’île. Vaincu, ses plumes trempées retombant
tristement, l’Orateur Vénéré déclara assez haut pour que tout le monde
l’entende :
« Il faut retourner en ville pour constater les dégâts et tâcher
d’éviter la panique. Chevaliers-Jaguar et Chevaliers-Flèche, venez avec nous.
Vous prendrez le commandement de tous les acali pour aller sur-le-champ à
Coyoacán. Ces imbéciles doivent être encore en pleine cérémonie. Essayez par
tous les moyens d’arrêter ou de détourner l’eau à sa source. Chevaliers-Aigle,
venez ici. » Il montra l’endroit où l’aqueduc rejoignait la digue. « Brisez-la.
Allez-y ! »
Il y eut un moment de confusion quand les différents groupes désignés
se précipitèrent pour exécuter les ordres. Puis, Ahuizotl, ses femmes, sa
suite, les prêtres, les nobles, les Chevaliers-Flèche et Jaguar, tout le monde
se dirigea en pataugeant vers la ville, aussi rapidement que le permettait
l’eau qui montait maintenant jusqu’à mi-cuisses. Nous autres, les
Chevaliers-Aigle, contemplions l’aqueduc de grosses pierres et de solide
mortier. Deux ou trois chevaliers s’y attaquèrent avec leur macquauitl, tandis
que les autres tâchaient d’éviter les éclats d’obsidienne. Ils considérèrent
leur épée brisée d’un air écœuré et la jetèrent dans le lac.
Alors, un des plus âgés fit quelques pas sur la chaussée pour aller
jeter un coup d’œil par-dessus le parapet et nous appela : « Combien
parmi vous savent nager ? » Presque tout le monde leva la main.
« Vous voyez là, à l’endroit où l’aqueduc tourne, la force de l’eau qui
change de direction fait trembler les piliers. Si nous arrivons à les
entailler, peut-être s’affaibliront-ils suffisamment pour que l’ensemble
s’écroule. » J’arrachai mon uniforme trempé et boueux ainsi que huit
autres chevaliers, pendant qu’on nous cherchait des épées intactes. Ensuite,
nous sautâmes tous dans le lac. En ce temps, à l’est de la jetée, les eaux
n’étaient pas très profondes. S’il nous avait fallu nager, jamais nous
n’aurions pu frapper en même temps sur les piles, mais heureusement, nous
n’avions de l’eau que jusqu’aux épaules. Malgré cela, ce ne fut pas une petite
affaire. Les piquets de bois étaient imprégnés de chapopotli pour résister au
pourrissement et cela les faisait également résister à nos lames. La nuit
s’installa et ce ne fut que le lendemain matin, alors que le soleil était déjà
haut, que l’une des grosses colonnes de bois se rompit enfin dans un fracas
terrifiant. J’étais sous l’eau à ce moment-là et je faillis être assommé par le
choc. Quand je refis surface, j’entendis un de mes camarades qui nous criait de
remonter sur la digue.
Il était temps. L’aqueduc trembla violemment et s’effondra dans un
tonnerre de craquements. L’eau se mit à jaillir dans toutes les directions et
l’extrémité brisée de l’ouvrage s’agitait comme la queue d’un serpent
coacuechtli. Une portion longue d’une dizaine de pas se coucha sur le côté, au
moment où les piliers que nous avions entamés se fracturaient en grondant et
culbutaient dans l’eau avec de grands remous. Le flot continuait à se déverser
dans le lac, mais il n’inondait plus la ville. Sur la digue même, l’eau
commençait à refluer.
« Rentrons chez nous, soupira l’un des chevaliers, en espérant que
nous avons encore une maison. »
Chez nous… Mais d’abord, je vais faire le point de la situation.
L’eau qui s’était déversée dans Tenochtitlán
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