Azteca
Zyanya, les petites filles
atteignent leur plus grande beauté vers douze ans, avant leurs premières
règles. Puis elles s’épanouissent à nouveau vers vingt ans. Oui, à vingt ans,
une fille est plus belle qu’elle ne l’a été et qu’elle ne le sera jamais.
— C’est vrai, tu avais vingt ans quand je suis tombé amoureux de
toi et que je t’ai épousée et depuis, tu n’as pas vieilli d’un jour.
— Tu es un flatteur et un menteur. J’ai des petites rides au coin
des yeux, ma poitrine n’est plus aussi ferme, j’ai des vergetures sur le ventre
et…
— Ça ne fait rien. Ta beauté de vingt ans a fait une telle
impression sur moi qu’elle est restée gravée à jamais dans mon esprit. Je te
verrai toujours ainsi et même si un jour quelqu’un me disait :
« Espèce d’idiot, tu vois bien que c’est une vieille bonne femme »,
je ne le croirais pas. » Je réfléchis un moment, puis je lui dis dans sa
langue maternelle :
« Rizalazi Zyanya chuüpa chii, chuüpa chii Zyanya . »
C’était une sorte de jeu de mots qui voulait dire à peu près ceci :
« Se rappeler Toujours à vingt ans lui fait avoir toujours vingt
ans. »
« Zyanya ? me demanda-t-elle tendrement.
— Zyanya, lui assurai-je.
— Comme c’est agréable de penser que tant que je serai avec toi
j’aurai toujours vingt ans. Même si l’on est séparé, où que tu sois, j’aurai
toujours vingt ans. » Ses yeux étaient un peu voilés par l’émotion, puis
elle ajouta en souriant :
« J’aurais dû te le dire avant, Zaa, tu n’es pas vraiment laid.
— Vraiment laid », répéta ma fille. Cela nous fit rire tous
les deux et mit un terme à ce moment d’enchantement. Je pris mon bouclier, je
l’embrassai et quittai la maison.
Il était encore tôt et les barques qui emportaient les ordures
encombraient le canal au bout de la rue. Le ramassage des immondices était le
dernier des métiers, à Tenochtitlán ; on y employait les pauvres diables
les plus misérables – estropiés, ivrognes et autres. Tournant le dos à ce
spectacle déprimant, je pris une rue qui montait vers la place, quand
j’entendis Zyanya m’appeler. Je me retournai et levai ma topaze. Elle était
sortie pour me dire au revoir et elle me cria quelque chose avant de rentrer.
Que me disait-elle ? « Tu me diras comment la Première Dame était habillée » ;
ou « Fais attention de ne pas te mouiller » ; ou encore :
« Souviens-toi que je t’aime. » Je n’en sais rien, car une rafale de
vent emporta ses paroles.
La source de Coyoacán étant située plus haut que le niveau des rues de
Tenochtitlán, l’aqueduc était en pente. Il avait plus d’une brassée de
profondeur et de largeur et faisait près de deux longues courses. Il rejoignait
la jetée à l’endroit où était construit le fort d’Acachinango et de là, il
tournait sur la gauche et suivait le parapet de la digue pour arriver droit sur
la ville. Une fois sur l’île, son flot alimentait des conduites plus petites
qui desservaient Tenochtitlán et Tlatelolco, remplissaient des réserves placées
dans chaque quartier et faisaient jaillir l’eau de plusieurs fontaines récemment
installées sur la place.
Ahuizotl et ses ingénieurs avaient tenu compte du conseil de
Nezahualipili concernant le contrôle des eaux. A l’endroit où l’aqueduc
rejoignait la digue, et là où il arrivait dans la ville, la cuvette de pierre
était entaillée de rainures verticales dans lesquelles pouvaient s’adapter de
grosses planches pour arrêter le flot si c’était nécessaire.
Le nouvel ouvrage devait être dédié à Chalchiuitlicue, déesse des lacs
et des cours d’eau, à la figure de grenouille. Elle était moins exigeante que
les autres dieux en fait d’offrandes humaines et par conséquent, les sacrifiés
ne seraient pas plus nombreux qu’il le fallait. A l’autre extrémité de
l’aqueduc, du côté de la source, un groupe de nobles, de prêtres et de
guerriers avait la garde des prisonniers. Ces captifs étaient pour la plupart
des bandits ordinaires rencontrés par Motecuzoma le Jeune dans ses
pérégrinations, qu’il avait capturés et envoyés à Tenochtitlán.
De la jetée, là où se tenait Ahuizotl – avec moi et une centaine d’autres
personnes qui essayaient d’empêcher leurs plumes de s’envoler dans le vent
d’est – montaient des prières, des chants et des invocations, pendant que des
prêtres subalternes avalaient force
Weitere Kostenlose Bücher