Azteca
musquée.
Ce ymaxtli chatouillait mon ventre nu, comme si je m’étais enfoncé dans
un épais tapis de fougère, mais il devint bien vite souple et mouillé et, si je
n’avais pas su qu’il existait, je n’aurais même pas remarqué sa présence.
Cependant, comme je savais que je pénétrais pour la première fois dans un
tipili garni d’une épaisse toison, la chose avait une saveur nouvelle pour moi.
Illusion ou réalité, l’altitude me faisait tourner la tête, ainsi que cette
sensation étrange de percevoir les gémissements de la femme par la bouche et
non par les oreilles, et chaque nuance de sa peau comme une odeur particulière.
Le jipuri mettait toutes les sensations en valeur et je crois que j’éprouvai
aussi une légère impression de danger, or le danger aiguise les sentiments et
les émotions. Il est rare que les hommes s’envolent. En général, ils ont plutôt
une fâcheuse tendance à tomber. Pourtant, je restais en suspension avec le
si-riame, sans aucun support visible et nous n’étions donc gênés par rien. Nous
nous déplacions librement, en état d’apesanteur, comme si nous étions dans
l’eau. Cette liberté nous permettait des positions impossibles autrement. Elle
haleta quelques paroles qui avaient le même goût que son tipili herbeux :
« Je vous crois maintenant quand vous dites que vous avez commis
tant de péchés. »
Le temps me sembla passer trop vite et à nouveau, j’entendis les sons
au lieu de les goûter quand elle me dit :
« Ne vous inquiétez pas, si vous n’arrivez jamais à courir très
vite. »
Je voyais les couleurs, je ne les sentais plus ; je sentais les
odeurs, je ne les entendais plus et je retombai de mon exaltation aussi
légèrement qu’une plume.
Je me retrouvai dans la maison du si-riame, allongé contre elle sur nos
vêtements froissés. Elle était couchée sur le dos et dormait profondément en
souriant. Sa chevelure était tout emmêlée et son ymaxtli était collé, sa
couleur sombre éclaircie par mon omicetl.
Je me sentais moi aussi imprégné d’elle et de ma propre sueur. J’avais
affreusement soif et l’intérieur de mon gosier semblait lui aussi être garni de
poils. J’appris ensuite que c’était une sensation normale quand on a mâché du
jipuri. Tout doucement, pour ne pas la réveiller, je me levai et m’habillai
pour chercher de l’eau. Avant de partir je pris ma topaze pour jeter un dernier
regard sur la belle femme étendue sur les peaux de jaguar. Je pensai que
c’était la première fois que j’avais des relations sexuelles avec un dirigeant
et je me sentis tout fier de moi.
Pas pour longtemps. Lorsque je quittai la maison, le soleil était
encore haut et la fête allait bon train. Après avoir bu tout mon soûl, je
rencontrai les yeux accusateurs de la fille que j’avais poursuivie tout à l’heure.
Je lui dis en souriant d’un air innocent :
« Voulez-vous qu’on fasse la course ? Je peux maintenant
prendre du jipuri autant que je veux. J’ai été initié.
— Inutile de vous en vanter, me répondit-elle d’un ton rageur.
Votre initiation a duré une demi-journée, une nuit entière et encore presque
toute une autre journée. »
Je n’en revenais pas. Comment était-il possible qu’un temps aussi long
semble si court ? Je me sentis rougir sous ses accusations.
« C’est toujours elle qui profite la première du meilleur
ma-rakame que procure la lumière divine. Ce n’est pas juste. Tant pis si on me
traite de rebelle et d’insolente. Je l’ai dit et je le répète, elle a fait
semblant d’avoir reçu la lumière divine du Grand-Père, de la Mère et du Frère.
Elle a menti afin de pouvoir profiter la première de tous les ma-tuâne qu’elle
initie. »
Ces paroles rabaissèrent tant soit peu l’orgueil que j’avais conçu pour
m’être uni à un chef légitime, du fait que ce chef ne valait guère mieux que
les femmes qui suivent les mauvais chemins. Je fus également blessé dans mon
amour-propre car le si-riame ne réclama jamais plus ma présence auprès d’elle.
Elle avait eu le meilleur de moi-même.
Toutefois, j’arrivai à amadouer la colère de l’autre fille après avoir
dormi et récupéré mes forces. Elle s’appelait Vi-rikôta, ce qui veut dire Terre
Sainte et qui est aussi le nom de la région située à l’est de ces montagnes où
l’on récolte le jipuri. La fête continua encore plusieurs jours et je parvins à
la persuader de me laisser la
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