Azteca
n’allait pas tarder à
se mettre en route pour assister aux cérémonies. J’ai attendu ce moment pour
partir avec sa suite, pour plus de sécurité. Je me suis arrêtée à Coyoacán
parce que je ne voulais pas me trouver dans la bousculade des funérailles et
c’est de là que j’ai envoyé un gamin t’avertir de mon arrivée imminente. Je
n’ai pu trouver de porteurs que ce matin de très bonne heure et je te fais mes
excuses pour avoir débarqué chez toi de cette façon, mais…»
Elle s’arrêta pour reprendre son souffle. Je n’étais pas très fier de
moi et je lui déclarai sincèrement :
« C’est moi qui dois m’excuser, Béu. Tu es arrivée au bon moment.
Les parents provisoires de Cocôton sont repartis chez eux. L’enfant n’a plus
que moi et je suis un père bien inexpérimenté. Tu es la bienvenue, ce n’est pas
une formule toute faite. Après Zyanya, tu es certainement la meilleure mère
possible pour Cocôton.
— Après Zyanya », répéta-t-elle. Le compliment ne parut pas
lui faire tellement plaisir.
« Tu pourras lui apprendre à parler le lôochi aussi bien que le
nahuatl et faire d’elle une enfant bien élevée comme ceux que j’ai vus chez
vous. Grâce à toi elle deviendra une autre Zyanya et tu accompliras ainsi une
très bonne action.
— Oui. Une autre Zyanya.
— A partir d’aujourd’hui, cette maison est la tienne ;
l’enfant est sous ta garde et les domestiques à tes ordres. Je vais immédiatement
faire vider et nettoyer à fond ta chambre pour qu’on la remeuble à ton goût. Si
tu as besoin de quelque chose, tu n’auras qu’à le dire. »
Il me sembla qu’elle allait faire une remarque, mais elle se ravisa.
« Et voilà notre petite Cocôton qui rentre du marché. »
La petite entra dans la pièce, toute rayonnante dans son léger manteau
jaune d’or. Elle observa longuement Béu et fronça les sourcils comme si elle
essayait de se souvenir où elle pouvait l’avoir déjà vue. Se rendait-elle
compte que c’était un miroir ?
« Tu ne me dis rien ? lui demanda Béu avec une émotion
visible. Il y a si longtemps que j’attends…
— Tene… ? balbutia l’enfant, incrédule.
— Oh, ma chérie ! » s’exclama Béu. Elle avait les larmes
aux yeux et s’agenouilla pour lui tendre les bras. La petite courut joyeusement
s’y jeter.
« La mort ! » tonna le grand prêtre de Huitzilopochtli,
du sommet de la grande pyramide. C’est la mort qui a jeté sur vos épaules le
manteau d’Orateur Vénéré, Seigneur Motecuzoma Xocoyotl, et vous mourrez à votre
tour. Il vous faudra alors rendre des comptes aux dieux sur la façon dont vous
avez porté ce manteau et exercé cette fonction suprême. »
Il continua ainsi sans se lasser, avec ce dédain souverain que
manifestent les prêtres à l’égard de leur auditoire. Mes compagnons chevaliers,
les nobles mexica et les dignitaires étrangers étouffaient et transpiraient
sous leur casque, leurs plumes, les peaux de bête, les armures et tous ces
splendides costumes colorés. Les milliers d’autres Mexica massés au Cœur du Monde
Unique ne portaient rien d’autre qu’un manteau de coton et je les enviais.
« Motecuzoma Xocoyotzin, poursuivit le prêtre, à partir de ce
jour, votre cœur devra ressembler à celui d’un vieillard : solennel et
sévère. Sachez, Seigneur, que le trône du Uey tlatoani n’est pas un mœlleux
coussin sur lequel on peut se prélasser à son aise. C’est le siège des soucis,
du travail et de l’effort. »
Je ne crois pas que Motecuzoma transpirait comme les autres, bien qu’il
portât deux manteaux, un noir et un bleu, brodés tous deux de têtes de mort et
de symboles destinés à lui rappeler que même un Orateur Vénéré doit mourir un
jour. Je ne pense pas que Motecuzoma ait jamais transpiré ; sa peau m’a
toujours semblé froide et sèche. Le prêtre continuait son homélie :
« A partir de ce jour, vous allez faire de votre personne un grand
arbre sous lequel les multitudes pourront venir chercher de l’ombre et
s’appuyer contre son tronc. Maintenant, Seigneur, vous devrez gouverner vos
sujets, les défendre et les traiter avec justice. Vous devrez punir la
méchanceté et châtier la désobéissance, vous montrer assidu à entreprendre les
guerres nécessaires et veiller tout spécialement aux besoins des dieux, de
leurs temples et de leurs prêtres, afin qu’ils ne manquent ni d’offrandes, ni de
sacrifices. Ainsi
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