Azteca
place ? demandai-je en lui montrant l’enfant qui continuait
à se tortiller pour voir son dos dans le miroir.
— Non. Elle a remarqué aujourd’hui que tous ses camarades avaient
un tlacihuitztli et elle m’a demandé ce que c’était sans avoir réalisé qu’elle
l’avait elle aussi. Elle est en train de tenter de l’apercevoir. »
Peut-être, mes révérends, comme la plupart des Espagnols fraîchement
arrivés ici, ignorez-vous ce qu’est le tlacihuitztli, car je crois bien que
cette marque n’existe pas chez vos enfants et si vos nègres l’ont, on ne doit
pas la remarquer. Tous nos enfants naissent avec une tache sombre dans le bas
du dos dont la taille varie de la grandeur d’une assiette à celle d’un ongle.
Elle diminue et s’estompe progressivement et, aux environs de la dixième année,
elle a complètement disparu.
« J’ai dit à Cocôton, poursuivit Béu, que lorsque sa tache serait
partie, elle serait une petite demoiselle.
— Une demoiselle de dix ans. Il ne faut pas lui mettre des idées
pareilles dans la tête.
— Comme ces idées folles que tu lui apprends ?
— Moi ? J’ai toujours répondu à ses questions le plus
honnêtement possible.
— Cocôton m’a raconté que tu l’avais emmenée un jour se promener
dans le nouveau parc de Chapultepec et qu’elle t’avait demandé pourquoi l’herbe
était verte. Il paraît que tu lui as répondu que c’était afin qu’on ne marche
pas par erreur sur le ciel !
— Eh bien, c’est la réponse la plus honnête que j’ai trouvée. En
connais-tu une meilleure ?
— L’herbe est verte, répliqua fermement Béu, parce que les dieux
ont décidé qu’elle serait verte.
— Ayya , je n’y avais pas pensé ! Tu as raison, sans
aucun doute. »
Elle me sourit, satisfaite de voir que j’approuvais son bon jugement.
« Mais, dis-moi, ajoutai-je perfidement, pourquoi les dieux ont-ils choisi
le vert plutôt que le rouge, le jaune ou une autre couleur ? »
Ah, voici Son Excellence qui arrive juste à temps pour m’éclairer. Cela
s’est passé le troisième jour de la Création, n’est-ce pas ? Et vous
pouvez même redire les paroles exactes de Dieu. « Que la terre produise de
la verdure. » C’est incontestable. Le fait que l’herbe est verte est une
évidence même pour les non Chrétiens, mais nous autres, les Chrétiens, nous
savons que c’est notre Dieu qui l’a fabriquée ainsi. Pourtant, après toutes ces
années, il m’arrive encore parfois de me demander pourquoi il l’a voulue verte
plutôt que…
Motecuzoma ? De quoi avait-il l’air ?
Oui, je comprends. Votre Excellence souhaiterait apprendre des choses
importantes et elle a raison de s’impatienter quand j’aborde des sujets aussi
insignifiants que la couleur de l’herbe ou que je lui parle de ma petite
famille. Et pourtant, le grand Seigneur Motecuzoma, quel que soit le lieu où il
repose maintenant, n’est plus qu’un amas informe en décomposition qui ne se
signale que si l’herbe est d’un vert plus profond à cet endroit. J’ai
l’impression que Dieu se préoccupe plus de la verdure de ses plantes que de la
fraîcheur du souvenir des hommes illustres.
Oui, oui, Excellence. Je ferme ces parenthèses inutiles et je vais
m’employer à satisfaire votre curiosité au sujet de la personnalité de l’homme
Motecuzoma Xocoyotzin.
Ce n’était qu’un homme et pas autre chose. Il était plus jeune que moi
d’un an environ. C’est-à-dire qu’il avait trente-cinq ans quand il monta sur le
trône des Mexica, ou plutôt du Monde Unique tout entier. Il était d’une taille
moyenne pour un Mexica, d’une constitution assez frêle avec une tête un peu
grosse et cette légère disproportion le faisait paraître plus petit qu’il ne
l’était en réalité. Il avait un teint de cuivre clair, des yeux qui brillaient
d’un éclat glacé et des traits réguliers, à part un nez un peu épaté.
Au cours de la cérémonie du sacre, quand il ôta les manteaux noir et
bleu de l’humilité, il apparut vêtu d’un habit d’une richesse incroyable, très
révélateur des goûts qu’il allait déployer à partir de ce moment. Quand il
paraissait en public il ne portait jamais le même costume, mais tous étaient
plus somptueux les uns que les autres.
Il avait des maxtlatl de cuir rouge ou de coton brodé dont les pans lui
retombaient jusqu’aux genoux, devant et derrière. Je le soupçonne d’avoir
adopté ces pagnes si
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