Azteca
l’écriture
pictographique. A Xaltocán, aucune école n’enseignait ce sujet rebutant, mais
je dénichais toutes les bribes d’écriture que je pouvais trouver et je les
étudiais attentivement en me torturant la cervelle pour comprendre leur
signification.
Les nombres étaient faciles à déchiffrer. Le coquillage symbolise le
zéro, les points les unités, le doigt le cinq, les drapeaux sont les vingtaines
et les petits arbres les centaines. Mais je me rappelle mon excitation le jour
où je parvins à démêler le sens d’un mot dessiné.
Mon père m’avait emmené avec lui, un jour qu’il était allé voir le
gouverneur pour son travail et pour m’occuper, pendant qu’ils s’entretenaient
dans une autre pièce, le gouverneur m’avait permis de m’asseoir dans l’entrée
et de regarder le registre de ses sujets. Je cherchai d’abord la page où
figurait mon nom. Sept points, le symbole de la fleur et un nuage gris. Puis je
me mis à tourner soigneusement les pages. Certains noms étaient aussi faciles à
reconnaître que le mien, car ils m’étaient familiers. Un peu avant le mien,
figurait le nom de Chimali et bien sûr, je le reconnus : trois points, une
tête à bec de canard symbolisant le vent et deux griffes entrelacées
représentant la fumée s’échappant d’un disque entouré de plumes –
Yei-Ehecatl ! Pocuia-Chimali : Bouclier Fumant Trois Vent.
Les dessins qui se répétaient souvent n’étaient pas difficiles à
comprendre. Il n’y avait, après tout, que vingt noms de jours. Mais je fus
soudain frappé par la répétition, qui n’était pas aussi évidente, d’éléments
figurant dans mon nom et dans celui de Chimali. Sur l’une des dernières pages,
une inscription récente présentait six points, une forme ressemblant à un
têtard, la tête en bas, puis ce symbole à bec de canard et enfin une chose à
trois pétales. J’arrivais à lire ! Je savais quel était ce nom !
Fleur de Vent Six Pluie, la petite sœur de Tlatli, dont la fête du nom avait
été célébrée la semaine dernière.
Avec un peu moins de précautions, je me mis alors à tourner dans tous
les sens les pages raides du livre en regardant sur les deux faces pour trouver
d’autres répétitions et des symboles reconnaissables et que je puisse
assembler. Le gouverneur revint avec mon père juste au moment où j’étais
parvenu laborieusement à deviner un nom – ou du moins, je le croyais.
Avec un mélange de timidité et de fierté, je lui dis :
« Excusez-moi, Seigneur Héron Rouge, auriez-vous la bonté de me dire si
j’ai raison, si cette page porte bien le nom d’une personne appelée Deux Roseau
Canine Jaune ? »
Il me regarda et me répondit que ce n’était pas ça. Il dut voir ma
déception, car il se mit à m’expliquer patiemment :
« Cela veut dire Deux Roseau Lumière Jaune, c’est le nom d’une
blanchisseuse du palais. Le signe Deux Roseau est évident, et le jaune coztic
est facile à indiquer, simplement en utilisant la couleur, comme tu l’as
deviné. Mais comment faire pour représenter une chose aussi impalpable que tlanixtelolotl,
la « lumière « ou plus exactement « élément de l’œil « ?
Donc, pour cela je fais le dessin d’une dent, tlantli, qui figure non pas le
sens, mais le bruit du « tlan « au début du mot, puis le dessin d’un
œil, ixtelolotl, pour faire comprendre la signification de l’ensemble ? Tu
vois, maintenant ? Tlanixtelolotl. Lumière. »
J’opinai, mais je me sentais tout penaud et stupide. Connaître
l’écriture pictographique était bien autre chose que de savoir discerner le
dessin d’une dent. Craignant que je ne l’aie pas bien compris, le gouverneur me
mit les points sur les i :
« Lire et écrire est réservé aux initiés, fils de
Tepetzalan. » Il me donna une bourrade dans le dos, d’homme à homme.
« Il faut du temps et de la pratique et seuls les nobles peuvent se le
permettre. Mais j’admire ton esprit d’initiative. Quel que soit le métier que
tu feras, jeune homme, tu le feras sûrement très bien. »
Je crois que le fils de Tepetzalan aurait mieux fait d’écouter la
suggestion du Seigneur Héron Rouge et de suivre les traces de son père. Ma
mauvaise vue me prédisposait mal à un destin risqué ou plus ambitieux et
j’aurais pu connaître une existence assurée, mais sans surprise, en peinant
comme une taupe, dans la carrière.
Une existence moins satisfaisante, peut-être, que celle
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