Azteca
pour adresser des prières à tel ou tel dieu. Quand j’imposais une
allure rapide, les paresseux se plaignaient que j’allais les tuer. Quand je
ralentissais pour faire plaisir aux traînards, les autres prétendaient qu’ils
seraient morts de vieillesse avant d’arriver à destination.
La seule chose qui rendait mon voyage agréable, c’était la présence de
Nochipa. Tout comme sa mère à son premier voyage, Nochipa s’extasiait
joyeusement devant chaque paysage nouveau. Elle trouvait toujours quelque chose
qui lui réjouissait les yeux et le cœur. Nous suivions la principale route de
commerce du sud qui traverse des endroits magnifiques, mais trop connus pour
Béu, mes sous-officiers et moi. Quant aux émigrants, ils étaient incapables de
se passionner pour autre chose que leurs malheurs personnels. Même si nous
avions parcouru les étendues désolées de Mictlán, je crois que Nochipa les
aurait trouvées merveilleuses.
Parfois, elle se mettait à chanter sans raison apparente, comme un
oiseau et, comme ma sœur Tzitzitlini, elle avait récolté à l’école de nombreux
lauriers pour ses talents à chanter et à danser. Quand elle chantait, même les
plus grincheux cessaient un moment de geindre pour l’écouter. Quand elle
n’était pas trop fatiguée par la longue journée de marche, elle éclairait notre
sombre nuit en dansant après le repas du soir. Un de mes vieux soldats
l’accompagnait à la flûte et ces soirs-là, les gens allaient se coucher sur le
sol raboteux en gémissant un peu moins qu’à l’ordinaire.
Pendant cet ennuyeux voyage, je fus frappé par un seul incident. Un
soir, je m’étais un peu éloigné du campement pour me soulager contre un arbre
et, un moment après, j’aperçus Béu – sans qu’elle me vît – en train d’accomplir
une tâche singulière. Elle était agenouillée devant ce même arbre et ramassait
la boue formée par mon urine. Je pensai qu’elle voulait préparer un cataplasme
pour quelque ampoule ou quelque cheville foulée et je ne lui posai jamais de
questions à ce sujet.
Cependant, il faut que je vous dise, mes révérends, que chez nous il y
a des femmes, de vieilles femmes en général – vous les appelez des sorcières –
qui connaissent des pratiques secrètes. Une de leurs spécialités consiste à
fabriquer une effigie grossière d’un homme avec la boue d’un endroit où il a
uriné. Ensuite, elle jette des maléfices sur cette poupée et l’homme est alors
atteint de douleurs inexplicables, de maladie, de folie, d’amnésie ou bien
encore il perd tous ses biens. Comme je n’avais aucune raison de croire que Béu
avait été une sorcière toute sa vie sans que je m’en sois aperçu, je pensai que
c’était une simple coïncidence et je n’y pensai plus.
Vingt jours après notre départ de Tenochtitlán – il en aurait fallu
douze pour un marcheur aguerri et peu chargé – nous arrivâmes au village de
Huajuapan que je connaissais depuis longtemps. Après y avoir passé la nuit,
nous obliquâmes vers le nord-est, sur une petite route qui était nouvelle pour
tout le monde. Le chemin serpentait à travers d’agréables vallées verdoyantes
et de jolies montagnes bleues, peu élevées, en direction de la capitale, Tya
Nya ou Teohuacan. Après quatre jours de marche, nous nous trouvâmes dans une
vallée très dégagée où un gué traversait un cours d’eau large, mais peu
profond. Je pris un peu d’eau dans ma main pour la goûter. Qualânqui s’approcha
de moi et me demanda : « Qu’en pensez-vous ?
— Elle n’est ni amère, ni chaude, ni malodorante. C’est de l’eau
potable et elle pourrait servir à arroser ces terres qui paraissent riches. Je
ne vois aucune habitation, ni aucune culture. Je crois que c’est l’endroit
idéal pour fonder notre Yanquitlan. Allez le leur dire. »
Qualânqui se retourna et se mit à hurler : « Posez vos
paquets. On est arrivés !
— Qu’ils se reposent aujourd’hui. On se mettra au travail demain.
— Demain, s’écria un prêtre à côté de moi, après-demain et après
après-demain seront des journées réservées à la consécration de la terre. Avec
votre permission, bien entendu.
— C’est la première colonie que je fonde, jeune seigneur prêtre,
je n’ai pas l’habitude de toutes ces formalités. Faites tout ce que demandent
les dieux. »
Oui, c’est exactement les paroles que j’ai prononcées, sans penser
qu’elles seraient considérées
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