Azteca
comme ton épouse ?
— Oui, pour les apparences. Inutile de leur révéler que tu n’es
que ma belle-sœur. A notre âge, le fait que nous prenions des chambres séparées
ne suscitera pas d’étonnement.
— A notre âge ! » explosa-t-elle soudain. Mais elle se
calma aussitôt et murmura :
« Bien sûr, on ne dira rien. Ta belle-sœur est à ta disposition.
Pourtant, Seigneur mon frère, tu m’avais précédemment donné l’ordre de ne pas
quitter Nochipa. Si je viens avec toi, que deviendra-t-elle ?
— C’est vrai, père, que deviendrai-je ? me demanda ma fille
en me tirant par le manteau. Est-ce que je viens avec vous, moi aussi,
père ?
— Non, tu resteras ici, mon enfant. Je ne pense pas rencontrer des
difficultés en chemin, mais on ne sait jamais. Ici, tu es en sécurité. La
présence des prêtres est suffisante pour décourager quiconque de vous attaquer.
Tu cours moins de danger ici que sur la grand-route, Nochipa, et nous serons
bientôt de retour. »
Elle avait l’air si déçu que j’ajoutai :
« Quand je reviendrai, nous aurons tout notre temps et je te
promets de te faire visiter le pays. Nous partirons tous les deux, Nochipa,
libres et légers comme deux oiseaux.
— Oh, oui, ce sera encore mieux, fit-elle en s’illuminant. Rien
que toi et moi. Je veux bien rester ici, père, et le soir, quand les hommes
seront fatigués par leur journée de travail, je leur ferai oublier leur
lassitude en dansant pour eux. »
Bien que nous fussions débarrassés de la caravane des colons, il nous
fallut cinq bonnes journées pour atteindre Teohuacan. Je me souviens que nous
fûmes très aimablement accueillis par le chef et son épouse, mais je ne me
rappelle pas leur nom, ni combien de jours nous fûmes leurs hôtes dans
l’édifice bien délabré qu’ils appelaient palais. J’ai encore en mémoire les
paroles que m’adressa le chef : « Ces terres que vous avez occupées,
Chevalier-Aigle Mixtli, sont parmi les plus belles et les plus fertiles de
notre pays, mais, s’empressa-t-il d’ajouter, nous n’avons personne pour les
cultiver. Vos colons sont donc les bienvenus. Une nation profite toujours d’un
apport de sang neuf. »
Il poursuivit ainsi longtemps sur le même thème et me remit des cadeaux
en échange de ceux que je lui avais apportés de la part de Motecuzoma. On nous
traita princièrement et nous dûmes nous forcer à avaler cette horrible eau
minérale dont les Teohuacana sont si fiers, en nous léchant les babines pour
leur faire croire que nous nous régalions. Je remarquai quelques sourcils qui
se relevaient quand je demandai deux chambres pour Béu et moi. Pourtant, j’ai
le vague souvenir qu’elle est venue me voir une nuit. Elle m’a dit quelque
chose, elle m’a supplié. Je lui ai répondu très durement ; elle m’a
implore. Je crois que je l’ai giflée, mais je ne me rappelle plus…
Non, Seigneur scribe, ne me regardez pas comme ça. Je ne suis pas en
train de perdre brusquement la mémoire. Toutes ces choses sont restées obscures
pour moi, parce qu’un autre événement est survenu peu après qui a laissé une
telle marque dans mon souvenir qu’il a occulté tout ce qui s’était passé juste
avant. Je me souviens que nous avons quitté nos hôtes après maintes salutations
et que toute la population était venue dans la rue pour nous acclamer. Seule
Béu n’avait pas l’air heureuse du succès de notre ambassade. Il me semble qu’il
nous a fallu aussi cinq jours pour revenir…
Le jour tombait quand nous arrivâmes au bord de la rivière sur la rive
opposée à Yanquitlan. Très peu de huttes paraissaient avoir été construites
depuis notre départ, mais il devait y avoir une autre fête en cours, car on
voyait plusieurs feux flamber très haut et très fort, bien que la nuit ne fût
pas encore tout à fait installée.
Au lieu de passer tout de suite sur l’autre rive, nous nous arrêtâmes
un moment pour écouter les cris et les rires qui nous parvenaient et jamais ces
manants ne nous avaient semblé aussi joyeux. Soudain, un homme surgit de la
rivière. En nous apercevant, il accourut en pataugeant dans l’eau et me salua
respectueusement :
« Mixpantzinco ! En votre auguste présence. Soyez le
bienvenu au village, Chevalier-Aigle. Nous avions peur que vous manquiez toute
la cérémonie.
— Quelle cérémonie ? fis-je. Je ne connais aucune cérémonie
où les participants doivent se mettre à l’eau.
— Oh,
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