Azteca
qui
devenait de plus en plus inaudible.
Les soldats parcouraient le terrain, examinant chaque cadavre pour
s’assurer que, selon mes ordres, pas un seul survivant ne réchapperait.
Plus rien ne nous retenait à Yanquitlan, sauf le spectacle du prêtre en
train de mourir.
Avec quatre de mes compagnons, je m’approchai de lui pour le regarder
agoniser. La peau le comprimait de plus en plus. Son torse et ses membres
étaient de plus en plus minces, tandis que ses extrémités enflaient. Sa tête
était une informe courge noire.
Il était encore vaguement en vie, mais notre vengeance était accomplie.
Qualânqui donna aux Tecpanecá l’ordre de se préparer à partir et pendant ce
temps, je repassai le gué avec les trois autres vétérans pour retourner à
l’endroit où attendait Béu. Sans dire un seul mot, je lui montrai les opales
ensanglantées. Je ne savais pas au juste ce qu’elle avait vu, entendu et deviné
et je ne sais pas non plus de quoi j’avais l’air à cet instant. Elle posa sur
moi un regard plein d’horreur, de pitié, de reproche et de tristesse – c’était
l’horreur qui dominait – elle se déroba quand je voulus poser ma main sur son
bras.
« Allons, viens, Béu, lui dis-je d’un ton froid. Je vais te
ramener à la maison. »
I H S
A.I.M.C.
A Son Auguste et Impériale Majesté Catholique, l’Empereur
Charles-Quint, Notre Roi :
Très Subtil et Très Judicieux Prince : de la ville de Mexico,
capitale de la Nouvelle-Espagne, en ce troisième jour après la fête de la
Purification, de l’année mille cinq cent trente de Notre Seigneur, nous vous
adressons nos salutations.
Sire, nous ne pouvons qu’exprimer notre admiration devant la profondeur
et l’audace des réflexions de notre Souverain dans le domaine des suppositions
hagiologiques et notre sincère émerveillement devant la brillante hypothèse
contenue dans la dernière lettre de Votre Majesté, à savoir que la divinité
favorite des Indiens, Quetzalcoatl, auquel notre Aztèque fait si souvent
référence, serait, en réalité, l’apôtre Thomas qui serait venu sur ces terres,
il y a quinze siècles, pour faire connaître l’évangile aux païens.
Bien entendu, Sire, même en tant qu’évêque de Mexico, nous ne pouvons
donner notre imprimatur à une théorie aussi osée avant de l’avoir soumise aux
plus hautes autorités de la hiérarchie de l’Eglise. Cependant, nous pouvons
attester qu’il existe tout un corpus de faits qui viennent à l’appui de la
supposition si novatrice de Votre Majesté.
Primo : le soi-disant Serpent à plumes a été le seul être
surnaturel à être reconnu par toutes les nations et par toutes les religions de
l’actuelle Nouvelle-Espagne. Il s’appelle Quetzalcoatl pour ceux qui parlent
nahuatl, Kukulkan, chez les Maya, Gukumatz pour les peuples encore plus
méridionaux, etc.
Secundo : tous ces peuples s’accordent pour dire que Quetzalcoatl
a d’abord été un homme mortel, un roi ou un empereur qui a vécu une vie
terrestre avant de se transformer en une divinité immatérielle et immortelle.
Etant donné que le calendrier indien est désespérément inutile et qu’il
n’existe plus aucun livre, même d’une histoire mythique, il se peut qu’on ne
puisse jamais dater le règne terrestre de Quetzalcoatl. Par conséquent, rien ne
s’oppose à ce qu’il ait été un contemporain de saint Thomas.
Tertio : tous ces peuples reconnaissent également que Quetzalcoatl
était moins un dirigeant – ou un tyran comme l’ont été presque tous les chefs
de ces pays – qu’un professeur, un prêcheur et, ce qui est à noter, un
célibataire par conviction religieuse. On lui attribue l’invention et
l’introduction de plusieurs choses, coutumes et croyances encore en vigueur
jusqu’à ce jour.
Quarto : Quetzalcoatl est l’une des rares divinités de ces pays à
n’avoir jamais exigé de sacrifices humains. Les offrandes qu’on lui faisait
étaient toujours très anodines : oiseaux, papillons, fleurs, etc.
Quinto : l’Eglise considère comme un fait historique que saint
Thomas est allé dans les Indes Orientales, où il a converti de nombreux païens
au Christianisme. Par conséquent, comme le suggère Votre Majesté :
« N’est-ce pas une supposition raisonnable de penser que l’Apôtre a pu
faire la même chose dans les Indes Occidentales ? » Un matérialiste
invétéré pourrait faire remarquer que le Bienheureux Thomas disposait
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