Azteca
ils
furent soulagés quand Béu leur dit :
« Mes amis, soyez assez aimables pour vous retirer afin que Zaa et
moi puissions échanger quelques mots en privé. »
Ils se levèrent et quand ils furent partis, je lui dis avec
brusquerie :
« Si tu as l’intention de me demander de t’emmener avec moi, Béu,
tu perds ton temps. »
Elle se tut pendant un long moment, les yeux baissés et les mains
nerveusement entrelacées. Enfin, elle se mit à parler et ses premiers mots me
semblèrent totalement hors de propos.
« Le jour de mes sept ans, on m’a appelée Lune en Attente. Je me
suis longtemps demandé pourquoi, mais je le sais maintenant et je crois que
Lune en Attente a assez attendu. » Elle posa ses beaux yeux dans les miens
et, pour une fois, j’y vis une prière au lieu de la moquerie habituelle et elle
parvint même à rougir pudiquement.
« Marions-nous, Zaa. »
Ainsi, c’était cela, pensai-je, en me souvenant de la boue qu’elle
avait ramassée en cachette. Je m’étais vaguement demandé auparavant si elle
avait fabriqué une effigie de moi pour me jeter un mauvais sort et si c’était à
cause de cela que j’avais perdu Nochipa. Mais ce n’avait été qu’un soupçon
fugitif dont j’avais eu aussitôt honte. Je savais que Béu aimait tendrement
Nochipa et ses pleurs avaient laissé voir un chagrin aussi sincère que ma
douleur sans larmes. Aussi, avais-je oublié la poupée de boue jusqu’à ce moment
où ses paroles l’avaient trahie. Elle n’avait pas fait ça pour briser ma vie,
mais pour affaiblir ma volonté afin que je ne rejette pas sa proposition,
spontanée en apparence, mais qui, en réalité, était méditée de longue date. Je
ne lui répondis pas immédiatement. J’attendis qu’elle m’ait récité tous ses
arguments soigneusement étudiés.
« Tu viens de dire il y a un instant, Zaa, que tu étais de plus en
plus seul. Moi aussi, vois-tu. Nous sommes seuls tous les deux. Tu n’as plus
que moi et je n’ai plus que toi. »
Elle me dit ensuite :
« Je pouvais vivre avec toi tant que j’étais là pour m’occuper de
ta fille. Mais, maintenant que Nochipa… maintenant que je n’ai plus ce rôle à
jouer, je ne peux décemment pas continuer à partager ton toit. »
Elle dit encore en rougissant de nouveau :
« Je sais bien qu’on ne pourra jamais remplacer notre Nochipa
bien-aimée. Mais, peut-être… je ne suis pas encore trop âgée…»
Elle laissa tomber sa voix en simulant parfaitement la pudeur et
l’incapacité d’en dire plus long. Je soutins son regard jusqu’au moment où son
visage flamboya comme du cuivre chaud.
« C’était inutile de faire toute cette comédie, Béu. J’avais
l’intention de te demander la même chose, ce soir même. Puisque tu y consens,
nous nous marierons demain matin, aussitôt que j’aurai pu réveiller un prêtre.
— Quoi ? murmura-t-elle.
— Comme tu viens de me le rappeler, je n’ai plus personne et je
suis riche. Si je meurs sans héritier, ma fortune ira au trésor public. Comme
je n’ai aucune envie qu’elle revienne à Motecuzoma, je dirai au prêtre
d’établir un document t’instituant mon unique héritière, en même temps que
notre certificat de mariage. »
Béu se leva lentement en balbutiant : « Ce n’était pas ce
que… Je n’ai jamais pensé à… Zaa, ce que je voulais te dire…
— Et je viens de tout gâcher ? dis-je en souriant. Tu n’avais
pas besoin de te donner tant de mal, tu vois. Enfin, ça te servira peut-être
pour plus tard, c’est un bon entraînement pour le jour où tu seras une veuve
riche et esseulée.
— Arrête, Zaa, s’écria-t-elle. Tu refuses de m’écouter. C’est
difficile pour moi ; ce n’est pas à une femme de dire ces choses.
— Je t’en prie, Béu ; ça suffit. Nous connaissons trop notre
mutuelle aversion. Il est trop tard pour nous dire des mots doux ; les
dieux n’en reviendraient pas. Du moins, à partir de demain, notre haine sera
officialisée, comme c’est le cas pour la plupart des couples.
— Comme tu es dur ! Tu es insensible à toute tendresse et tu
rejettes la main qu’on te tend.
— J’ai trop souvent senti le dur revers de ta tendre main. Est-ce
que tu ne vas pas te mettre à rire maintenant en me disant que cette histoire
de mariage n’était qu’une autre raillerie de ta part ?
— Non, je parlais sérieusement. Et toi ?
— Moi aussi, lui répondis-je en levant ma coupe d’octli.
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