Azteca
totalement.
Le matin, Tonatiuh bondissait de sa couche sans la cérémonie préalable
de l’aube où il choisit d’ordinaire ses lances et ses flèches pour la journée.
Chaque soir, il s’effondrait dans son lit, sans même se donner la peine
d’endosser son éclatant manteau de plumes, ni d’étaler sa couverture de fleurs
colorées. Entre ces deux moments, Tonatiuh n’était qu’une tache d’un jaune un
peu plus intense dans un ciel également jaune. Accablant, obstiné, aspirant
tout l’air, il se frayait dans le ciel un chemin embrasé, aussi lentement et
aussi péniblement que je cheminais sur les sables arides. Quant à Tlaloc, le
dieu-pluie, il s’intéressait encore moins au désert, bien que ce fût la saison
des pluies.
Il m’est arrivé de voir ou d’entendre un coyote ; c’est un animal
qui semble s’acclimater partout. J’ai vu aussi quelques lapins et souvent, un
ou deux vautours planaient au-dessus de moi en cercle. A part cela, les
habitants du désert faisaient partie de l’espèce rampante : serpents à
sonnettes, lézards de toutes sortes et scorpions presque aussi gros qu’une main.
Les dieux des végétaux ne s’occupent pas non plus beaucoup du désert.
En fait d’arbres, à part les cactus, on ne voit guère que quelques mizquitl
rabougris, ou des yuca aux feuilles en forme de lance.
La seule bonne déesse qui ose se promener dans ces lieux déshérités,
c’est Xochiquetzal, la déesse de l’amour et des fleurs. Chaque printemps, elle
vient embellir le moindre buisson et le moindre cactus.
S’il arrive qu’une déesse fréquente impunément le désert, il n’en est
pas de même pour les humains. Un homme qui voudrait le traverser sans y être
préparé y trouverait un trépas assuré et un trépas lent et douloureux. Pour
moi, bien que ce fût la première fois que je m’aventurais dans ces solitudes,
je n’étais pas tout à fait inexpérimenté. Pendant mon enfance, le quachic
Gourmand de Sang avait inclus dans son enseignement quelques principes pour
survivre dans le désert. Grâce à lui, je n’ai jamais manqué d’eau. Comme son
nom l’indique, le cactus comitl a une forme de cruche. J’en choisissais
toujours un qui eût une bonne taille et, après l’avoir entouré de brindilles
auxquelles je mettais le feu, j’attendais que la chaleur se condense à
l’intérieur. Ensuite, je n’avais plus qu’à découper le sommet du cactus, puis à
presser la pulpe pour en faire couler le jus dans ma gourde de cuir.
J’avais rarement de la viande sauf, de temps en temps, un lézard et une
fois un lapin. Mais la viande n’est pas une nourriture indispensable. A
longueur d’année, l’arbre mizquitl porte des guirlandes de gousses fraîches et
vertes et de gousses desséchées qui restent de l’année précédente. On peut
faire cuire les pois verts dans de l’eau et les réduire en purée. Les pois
secs, on les écrase entre deux pierres pour en faire de la farine que l’on
mélange avec de l’eau, comme le pinolli, quand on n’a pas autre chose à se
mettre sous la dent.
Vous voyez, j’ai survécu pendant toute une année dans ce sinistre
désert. Je vous dirai simplement, pour que vous ayez une idée de son immensité
et de sa désolation, que j’y ai marché pendant plus d’un mois avant de
rencontrer un seul être humain.
De loin j’avais cru que c’était un monticule de sable, mais en
m’approchant, je me rendis compte que c’était une personne assise. Tout
heureux, je la hélai mais elle ne répondit pas. J’appelai encore et je m’aperçus
que sa bouche était grande ouverte, comme pour crier.
C’était une femme entièrement nue, assise sur le sable. Elle avait dû
effectivement crier, mais maintenant, elle était morte, les yeux et la bouche
béants. Elle avait les jambes écartées et les mains posées à plat sur le sol
comme si elle avait fait des efforts désespérés pour se relever. Je tâtai son
épaule poussiéreuse ; la chair était encore souple et tiède. Elle n’était
pas morte depuis bien longtemps. Elle ne présentait aucun signe de maladie, ni aucune
blessure et je me demandais de quoi elle avait bien pu mourir.
J’avais pris l’habitude de parler tout seul, par manque de compagnie et
je me mis à bougonner :
« Ce désert est vraiment maudit des dieux. J’ai la chance de
rencontrer un être humain qui est peut-être le seul dans toute cette solitude
et une femme par-dessus le marché. Et voilà
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