Azteca
fleurissaient quelques sourires tremblants. Je
dois reconnaître que cette comédie la rendait encore plus belle. Elle était
vêtue de façon très aguichante et quand je la regardais sans ma topaze, elle me
semblait aussi jeune que ma Zyanya de vingt ans. C’est pour cette raison que
j’avais fait un usage répété de la dénommée Pluie Fine pendant toute la nuit
précédente. Je voulais m’ôter toutes possibilités de désirer Béu malgré moi.
Pour la dernière fois, le prêtre balança son encensoir de copal autour
de nous. Ensuite, il nous regarda pendant que nous nous faisions mutuellement
manger un morceau de tamal fumant ; puis, il noua un coin de mon manteau
avec un coin de la jupe de Béu et nous souhaita beaucoup de chance dans notre
nouvelle vie.
« Merci, Seigneur Prêtre, dis-je en lui remettant ses honoraires.
Merci surtout pour vos bons vœux. » Je défis le nœud qui m’attachait à
Béu. « J’aurai sûrement besoin de l’aide des dieux, là où je vais. »
Et, chargeant mon sac sur mon épaule, je dis au revoir à Béu.
— Au revoir ? répéta-t-elle avec un petit cri. Mais, Zaa,
c’est le jour de notre mariage.
— Je t’avais prévenue que je partirais. Mes hommes vont te
conduire à la maison.
— Mais… mais, je pensais… que tu resterais au moins une nuit. Pour
la…»
Elle jeta un coup d’œil autour d’elle et vit qu’on la regardait. Elle
rougit violemment et haussa le ton : « Zaa, je suis ta femme,
maintenant.
— Tu m’as épousé, rectifiai-je. C’est ce que tu voulais. Tu seras
ma veuve et mon héritière. C’est Zyanya qui était ma femme.
— Mais Zyanya est morte depuis dix ans !
— Sa mort n’a pas brisé notre lien. Je n’aurai jamais d’autre
femme.
— Hypocrite ! Tu n’es pas resté chaste pendant dix ans. Tu as
eu d’autres femmes depuis. Pourquoi ne veux-tu pas de celle que tu viens
d’épouser ? Pourquoi ne veux-tu pas de moi ? »
A part l’aubergiste qui ricanait d’un air égrillard, la plupart des
assistants avait l’air bien embarrassé, tout comme le prêtre qui s’arma de
courage et me dit :
« Seigneur, c’est la coutume de sceller ces promesses avec un acte
de… afin de mieux se connaître…
— Votre sollicitude vous honore, Seigneur Prêtre, coupai-je. Mais
je connais déjà cette femme bien trop intimement.
— Quel mensonge ! s’exclama Béu. Nous n’avons pas une seule
fois…
— Et nous ne le ferons jamais, Lune en Attente. Je te connais trop
bien, et je sais qu’un homme est le plus vulnérable quand il fait l’amour avec
une femme. Je ne te donnerai pas l’occasion de me repousser dédaigneusement, de
te moquer de moi ou de me diminuer par un de ces moyens que tu pratiques et que
tu perfectionnes depuis si longtemps.
— Et toi, cria-t-elle, qu’est-ce que tu es en train de faire en ce
moment ?
— La même chose, mais cette fois, j’ai pris les devants. Bien, le
jour s’avance, il faut que je m’en aille. »
Quand je partis, je vis Béu se tamponner les yeux avec le coin
chiffonné de sa robe qui avait servi à faire le nœud du mariage.
***
Il était inutile que je reprenne le long chemin de mes ancêtres à
partir de son terme, à Tenochtitlán, ni à partir d’aucun des sites qu’ils
avaient précédemment occupés dans la région des lacs, car je savais très bien
que je n’y trouverais rien. Selon d’anciennes légendes, avant de s’implanter
sur le lac, les Azteca s’étaient installés plus au nord, dans un lieu appelé
Atlitalâcan. Par conséquent, en quittant Cuauhnáhuac, je pris la direction du
nord-ouest, puis du nord et enfin du nord-est, en restant toujours en dehors
des frontières de la Triple Alliance et je finis par arriver dans une région
peu peuplée, située au-delà d’Oxitipan, la ville de garnison la plus
septentrionale occupée par des soldats mexica. Là, je demandai des
renseignements au sujet d’Atlitalâcan, mais pour toute réponse, je ne récoltai
que des regards interloqués ou des haussements d’épaules. En effet, je me
heurtais à deux difficultés.
Premièrement, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être
Atlitalâcan. Etait-ce une communauté du temps des Azteca et qui avait disparu
après leur passage, ou bien un simple campement auquel ils avaient momentanément
donné ce nom ? Deuxièmement, je me trouvais dans le sud du pays des Otomi,
ou plus précisément, dans une région où les Otomi
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