Azteca
étaient
envoyés par le roi Carlos à la demande de Cortés lui-même. Par conséquent,
cette attaque en traître était pour nous un insondable mystère. Ce n’est que beaucoup
plus tard, après avoir mis bout à bout les informations que j’avais glanées à
droite et à gauche, que je me suis rendu compte de l’énormité de la tromperie
de Cortés, vis-à-vis de vous comme de nous.
Lorsqu’il avait débarqué dans ce pays, Cortés s’était présenté comme
l’envoyé de votre roi Carlos et je sais maintenant que ce n’était pas vrai. Le
roi ne l’avait jamais envoyé ici, ni au nom de la grandeur de l’Espagne, ni
pour propager la Foi chrétienne, ni pour aucune autre raison. Quand Hernán
Cortés mit le pied pour la première fois dans le Monde Unique, le roi Carlos
n’avait jamais entendu parler de lui !
D’après des réflexions de l’évêque Zumarraga et d’autres personnes,
j’ai compris que Cortés n’avait pas été mandaté par le roi ou par l’Eglise, mais
par une autorité bien moindre, le gouverneur de l’île du Cuba, qui lui avait
simplement enjoint d’explorer nos côtes, d’en dresser la carte et de faire à
l’occasion quelques bonnes affaires en échangeant des perles de verres et autre
pacotille. Mais, après avoir si facilement vaincu les Olmeca et soumis les
Totonaca sans même avoir combattu, Cortés comprit qu’il pourrait faire bien
davantage. C’est peut-être à ce moment qu’il prit la résolution de devenir le
conquérant du Monde Unique. Il paraît que certains de ses officiers redoutant
la colère du gouverneur auraient voulu faire obstacle à ses projets grandioses
et c’est pour cela qu’il donna l’ordre de brûler les vaisseaux. Echoués sur le
rivage, ses opposants n’avaient pas d’autre ressource que de le suivre.
Pourtant, son aventure avait bien failli tourner court. Il avait envoyé le seul
bateau qui lui restait sous le commandement d’Alvarado pour rapporter le
premier chargement de trésors qu’il nous avait extorqués. Alvarado devait se
faufiler au large de Cuba, mettre directement la voile sur l’Espagne et éblouir
le roi avec ses riches présents pour que celui-ci donne sa royale bénédiction à
l’entreprise de Cortés en même temps qu’il relèverait à un grade supérieur pour
légitimer son aventure. Mais il arriva, je ne sais comment, que le gouverneur
eut vent du passage du navire près de son île et qu’il devina que Cortés avait
enfreint ses instructions. Il rassembla alors vingt bateaux et des centaines
d’hommes qu’il mit sous le commandement de Pamfilo de Narvaez, pour aller
capturer le hors-la-loi Cortés, lui ôter toute autorité, faire la paix avec les
peuples qu’il aurait trompés ou offensés et le ramener à Cuba dans les chaînes.
Cependant, d’après nos espions, le hors-la-loi avait vaincu le
redresseur de torts et tandis qu’Alvarado était sans doute en train de déposer
aux pieds de son souverain de l’or et des projets dorés, Cortés, à Vera Cruz,
montrait à Narvaez des échantillons des richesses de notre pays et le
persuadait de se joindre à lui pour achever la conquête et lui assurant qu’il
n’avait rien à craindre de la fureur d’un petit gouverneur colonial, puisqu’ils
allaient bientôt livrer au roi Carlos une colonie plus riche et plus vaste que
leur mère patrie et toutes ses colonies réunies.
Même si nous avions su tout cela, je ne crois pas que nous aurions pu
faire plus que ce que nous avons fait, c’est-à-dire de déclarer par un vote
légal que Motecuzoma était « provisoirement mis en incapacité », de
nommer son frère Cuitlahuac pour gouverner à sa place et d’approuver sa
décision « d’éliminer rapidement tous les étrangers qui infestaient
Tenochtitlán ».
« Dans deux jours, nous avait-il déclaré, se déroulera la
cérémonie en l’honneur d’Uixtocihuatl, la sœur du dieu-pluie. Etant donné
qu’elle n’est que la déesse du sel, ce n’est en général qu’une fête mineure,
mais les Blancs l’ignorent et les Totonaca aussi. Dans un sens nous pouvons
nous réjouir que Cortés les ait laissés ici plutôt que les Acolhua qui
connaissent bien toutes nos traditions. Je vais aller de ce pas au palais pour
dire à mon frère de ne pas manifester de surprise et je raconterai un beau
mensonge à Alvarado ; j’exagérerai l’importance de cette cérémonie et je
lui demanderai que le peuple ait la permission de se rassembler sur la
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