Azteca
à
l’autre. Très vite, les Espagnols se rendirent entièrement maîtres de toute
cette portion du lac. Du côté de Tenochtitlán, derrière la grande digue, la
circulation des bateaux continuait normalement, mais pas pour longtemps.
A la fin, Cortés fit sortir le reste de son armée de Texcoco et la
divisa en deux parties égales qui allèrent chacune rejoindre les forces
stationnées au nord et au sud de Tenochtitlán. Pendant ce temps, leurs bateaux
vinrent faire une brèche dans la grande digue. Les soldats n’eurent qu’à la
balayer sur toute sa longueur avec leurs arquebuses. Alors, les bateaux se
glissèrent par les brèches et se trouvèrent dans les eaux mexica. Cuauhtemoc
envoya aussitôt des guerriers en renfort sur les jetées sud et nord, mais ils
ne purent pas repousser les assaillants qui filèrent directement vers les
passages pratiqués dans les chaussées pour le passage des canots.
Tandis que certains Espagnols couvraient nos défenseurs d’une pluie de
traits de métal, d’autres se hissaient au-dessus des flancs des bateaux pour
détacher et faire basculer dans l’eau les ponts de bois qui enjambaient les
passages. Une fois à l’intérieur, ils firent ce qu’ils avaient fait
ailleurs : ils détruisirent les canots de guerre, les barques, toutes les
embarcations.
« Les Blancs tiennent les digues et les passages, dit le
Femme-Serpent. Quand ils attaqueront les autres villes de la terre ferme, nous
ne pourrons pas leur envoyer de renforts et, ce qui est plus grave, nous ne
pouvons plus rien recevoir de l’extérieur ; ni troupes, ni armes, ni
vivres.
— Il y a assez de provisions dans les entrepôts de l’île pour nous
faire vivre un moment, dit Cuauhtemoc qui ajouta sur un ton amer :
Remercions la petite vérole qu’il y ait moins de bouches à nourrir. Et puis,
nous avons aussi les chinampa.
— Les entrepôts ne contiennent que du maïs séché et les chinampa
ne sont plantées que de denrées de luxe : tomates, chilis, coriandre et
autres. Cela va faire un curieux régime, des tortillas et des purées de pauvres
accompagnées de condiments de riches, rétorqua le Femme-Serpent.
— Un régime dont vous vous souviendrez avec émotion quand vous
aurez à la place une épée espagnole dans le ventre », lui répondit
Cuauhtemoc.
Une fois que les bateaux eurent refoulé nos guerriers à l’intérieur de
l’île, les troupes de Cortés reprirent leur marche et forcèrent les villes à se
rendre les unes après les autres. La première fut Tepeyaca, notre plus proche
voisine au nord ; puis ce fut le tour d’Ixtapalapa et de Mexicaltzingo au
sud, puis de Tenayuca et d’Azcapotzalco au nord-ouest et enfin de Coyoaçán au
sud-est. L’étau se refermait et nous n’avions plus besoin de nos souris pour
savoir ce qu’il se passait. A mesure que nos alliés se rendaient, les guerriers
qui arrivaient à fuir venaient se réfugier chez nous, sous le couvert de la
nuit, sur des acali ou en se faufilant par les jetées ou encore plus
simplement, à la nage.
Certains jours, Cortés dirigeait les opérations de son cheval et
d’autres fois du bord de La Capitana. Pour protéger notre ville de cette flotte
dévastatrice, nous, n’avions qu’un seul moyen. Tous les morceaux de bois qu’on
avait pu trouver furent taillés en pointe et des plongeurs les enfoncèrent
solidement dans l’eau en les inclinant vers l’extérieur, juste sous la surface,
tout autour de l’île. Si nous n’avions pas pris cette mesure, les bateaux de
Cortés seraient arrivés tout droit au cœur de la ville par les canaux. Cette
défense se révéla efficace car, un jour, un bateau espagnol vint s’empaler sur
ces piquets. Nos guerriers lancèrent immédiatement sur lui d’innombrables
volées de flèches et tuèrent sans doute plusieurs soldats avant que l’ennemi
ait pu se dégager et faire retraite sur le rivage pour réparer les dégâts.
Après cela, comme les Espagnols ne pouvaient pas savoir jusqu’où nous avions
planté ces pieux, ils restèrent à distance respectueuse.
Malheureusement, les hommes de Cortés découvrirent les canons que nous
avions fait basculer dans le lac et ils purent les récupérer. Contrairement à
ce que nous avions espéré, l’immersion n’avait pas endommagé ces maudits
engins. Les soldats n’eurent qu’à les nettoyer, les sécher et les recharger
pour les rendre à nouveau opérationnels. Cortés en fit monter treize sur des
bateaux qui
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