Azteca
non, ils étaient des alliés
occasionnels. Ces trois pays, comme les trois pays de l’Alliance, avaient été
ruinés par les Temps Difficiles. Après avoir conféré avec son Conseil,
Motecuzoma réunit les chefs de Texcoco et de Tlacopan. Ils rédigèrent tous
trois une proposition qu’ils envoyèrent aux chefs des trois autres villes.
Voici à peu près ce qu’elle disait :
« Faisons tous la guerre, afin de pouvoir tous survivre. Nos
peuples sont différents, mais ils pâtissent des mêmes Temps Difficiles. Les
sages ont dit qu’il n’y avait qu’un seul moyen de nous sauver : apaiser et
assouvir les dieux avec des sacrifices humains. C’est pourquoi nous proposons
que nos trois armées rencontrent les trois vôtres, en terrain neutre, sur la plaine
d’Acatzingo qui est suffisamment éloignée de nos trois pays, vers le sud-est.
Nous ne nous battrons ni pour un territoire, ni pour un gouvernement, ni pour
le massacre, ni pour le pillage, mais uniquement dans le but de capturer des
prisonniers pour la Mort Fleurie. Quand les participants auront pris un nombre
suffisant de soldats pour les sacrifier à leurs dieux, ils le feront savoir aux
commandements et on mettra fin au combat. »
Cette proposition que vous jugez inimaginable, vous les Espagnols, fut
agréée par toutes les parties en présence – y compris les guerriers que vous
avez qualifiés de « stupides suicidaires », parce qu’ils ne se
battaient pour aucun but apparent, si ce n’est leur propre fin immédiate,
presque assurée. Mais, dites-moi, est-il un seul de vos soldats de métier qui
préférerait le train-train de la vie de garnison au feu de la bataille ?
De plus, nos guerriers avaient l’avantage de savoir que s’ils périssaient au
combat, ils s’attireraient la reconnaissance unanime pour avoir contenté les
dieux, tout en méritant ce cadeau divin d’un autre monde paradisiaque. Dans ces
Temps Difficiles, alors que tant de gens succombaient, sans gloire, aux
privations, on avait encore plus de raisons de préférer mourir par l’épée ou
par le couteau du sacrifice.
C’est ainsi que fut organisée la première bataille qui se déroula comme
prévu, bien que la plaine d’Acatzingo se trouvât loin de tout et que les six
armées dussent se reposer de leur longue marche pendant deux ou trois jours,
avant que fût donné le signal de commencer les hostilités. Contrairement à ce
qu’on avait auguré, nombre de soldats périrent, par inadvertance, par hasard ou
par accident, ou encore parce qu’ils se battaient avec trop d’ardeur. Il n’est
pas facile, pour un guerrier habitué à tuer, de se retenir de tuer. Mais
presque tous suivirent les consignes et frappèrent avec le plat de leur
macquauitl et non avec le tranchant d’obsidienne. Les soldats assommés ne
furent pas achevés par les Engloutisseurs, mais rapidement ficelés par les Ligoteurs.
Au bout de deux jours, les prêtres déclarèrent qu’il y avait assez de
prisonniers pour satisfaire les dieux. L’un après l’autre, les chefs firent
déployer les signaux convenus, les régiments qui combattaient encore dans la
plaine se replièrent, les six armées se reformèrent, épuisées, et se remirent
en marche, emmenant leurs prisonniers encore plus épuisés.
Cette première Guerre des Fleurs eut lieu au milieu de l’été,
c’est-à-dire au milieu de la saison des pluies, mais dans ces Temps difficiles,
ce ne fut en réalité qu’une interminable période chaude et sèche. Les chefs des
six nations étaient également convenus qu’ils sacrifieraient tous les
prisonniers le même jour. On en a oublié le chiffre exact, mais je crois bien
que des milliers d’hommes furent immolés, ce jour-là, à Tenochtitlân, à
Tlacopan, à Texcala, à Cholula et à Huejotzingo. Vous allez dire que c’était
une coïncidence, mes révérends, puisque le Seigneur Dieu n’était pas encore
dans le coup, mais ce jour-là les nuages crevèrent enfin et la pluie se mit à
déferler sur le plateau tout entier, mettant fin ainsi aux Temps Difficiles.
Ce jour-là aussi, dans ces six villes, beaucoup de monde eut enfin le
ventre plein, pour la première fois depuis cinq ans, après s’être repus des
restes des xochimiqui sacrifiés. Les dieux se contentaient des cœurs arrachés
et empilés sur les autels ; ils n’avaient que faire des dépouilles des
victimes, mais ce n’était pas le cas du peuple rassemblé là. Au fur et à mesure
que le corps d’un
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