Azteca
gagnées à la guerre et non les babioles qu’on a de
naissance ou par mariage.
« Mais c’est bien vrai que tu ne l’as pas reconnu ? Ce n’est
pas possible ! » Il semblait aussi que Nezahualpilli n’appréciait pas
l’admiration trop ostensible de ses sujets. Le temps que le prince et moi nous
soyons frayés un chemin au milieu de la foule, il avait déjà disparu.
La Dame de Tolan ne m’avait pas menti en me disant que j’aurais à
travailler dur, mais je ne vais pas vous assommer, révérends frères, avec les
détails de mon emploi du temps, les événements marquants de mes journées et le
monceau de travail que je ramenais, chaque soir, dans ma chambre. J’appris
l’arithmétique, la comptabilité et les lois du commerce – toutes choses qui
allaient m’être très utiles par la suite. J’appris la géographie de nos pays,
mais à cette époque, on ne savait pas grand-chose des terres qui n’étaient pas
immédiatement voisines des nôtres, comme je devais m’en apercevoir plus tard
par moi-même.
Ce qui me plaisait le plus, c’était l’étude des mots et je devins de
plus en plus fort en lecture et en écriture. Mais je profitais tout autant des
cours d’histoire, même lorsqu’ils réfutaient les plus fermes croyances des
Mexica. Le Seigneur Professeur n’était pas avare de son temps et il nous
accordait même des entretiens privés. Un jour, il vint converser avec moi et un
tout jeune garçon, fils d’un des nombreux seigneurs de Texcoco, nommé Poyec.
« Il y a une énorme faille dans l’histoire des Mexica, dit le
professeur, pareille à celle qu’un tremblement de terre arrive à creuser dans
le sol ».
Tout en parlant, il se préparait un poquietl. C’est un tube mince en os
ou en jade sculpté, avec un embout que l’on met dans la bouche. De l’autre côté,
qui est ouvert, on insère un roseau séché ou un morceau de papier roulé rempli
de feuilles de piacetl séchées et finement hachées, mélangées parfois à des
herbes ou à des épices pour donner plus de parfum. On prend le tube entre ses
doigts et on met le feu à l’extrémité du roseau ou du papier qui se consume
alors lentement tandis qu’on aspire des bouffées de fumée.
Lorsqu’il l’eut allumé avec un morceau de charbon du brasero, Neltitica
nous dit : « Il y a juste un faisceau d’années que l’Orateur Vénéré
Itzcoatl, Serpent d’Obsidienne, mit sur pied la Triple Alliance entre les
Mexica, les Acolhua et les Tecpaneca – avec évidemment à sa tête, les Mexica.
Ayant assuré la suprématie de son peuple, Itzcoatl ordonna de brûler tous les
anciens livres et d’en écrire de nouveau pour glorifier le passé des Mexica.
Je regardai la fumée bleue qui s’élevait du poquietl en
murmurant : « Des livres… brûlés…» C’était difficile d’admettre qu’un
Uey tlatoani ait pu avoir le cœur de brûler des choses aussi irremplaçables, aussi
précieuses et aussi intouchables que des livres.
« Serpent d’Obsidienne fit cela pour que son peuple croit qu’il
avait toujours été le seul dépositaire des arts et des sciences et qu’il était
donc de son devoir d’imposer sa loi aux peuples inférieurs. Mais, même les
Mexica ne pouvaient ignorer qu’il existait des civilisations plus raffinées
bien avant leur arrivée, aussi ils ont fabriqué des légendes fantaisistes pour
appuyer leurs dires. » Poyec et moi étions pensifs et le petit
demanda : « Vous parlez par exemple de Teotihuacân ? L’Endroit
où les Dieux sont créés ?
— C’est un bon exemple, jeune Poyec. Cette ville n’est plus qu’une
ruine déserte et envahie par les mauvaises herbes, mais elle a été autrefois
une cité bien plus grande et bien plus peuplée que ne le sera jamais
Tenochtitlân.
— On nous a appris, Seigneur Professeur, lui dis-je, que les dieux
l’avaient édifiée quand ils se réunirent pour créer la terre, les hommes et
toutes les choses vivantes.
— Bien sûr, c’est ce qu’on t’a dit. Les grandes choses qui n’ont
pas été faites par les Mexica ne peuvent pas être portées au compte d’autres
mortels. » Il fit sortir de la fumée de ses narines. « Serpent
d’Obsidienne a anéanti l’histoire du passé des Mexica, mais il n’a pas pu
brûler les bibliothèques de Texcoco et des autres villes. Nous avons des
documents au sujet de ce qu’était la vallée avant l’arrivée des Mexica-Azteca.
Serpent d’Obsidienne n’a pas pu transformer
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