Azteca
vaincus de Xochimilco. Coxcox fut stupéfait et heureux et,
à partir de ce jour, les Mexica furent considérés comme de redoutables
combattants.
Je pensais avoir bien su dépeindre l’événement, particulièrement dans
le rendu méticuleux des innombrables oreilles gauches et l’expression
décontenancée de Coxcox. Certain des qualités de mon travail, j’attendais que le
professeur me fasse des compliments, mais il fronçait les sourcils en regardant
le cahier et le tournant dans tous les sens, il me demanda :
« Par où faut-il commencer ? »
Déconcerté, je lui répondis : « Seigneur, à Xaltocán, on
déplie les feuilles vers la gauche, de façon à pouvoir lire de gauche à droite.
— Je sais, je sais, chez nous aussi. Mais rien sur votre cahier ne
l’indique.
— Rien ne l’indique ? » m’exclamai-je, interloqué.
« Supposez que vous ayez à déchiffrer une inscription qui se lise dans un
autre sens, par exemple, sur une colonne ou une frise de temple où
l’architecture exige qu’on lise de droite à gauche ou de haut en bas. »
J’avouai que cela ne m’était jamais venu à l’idée.
Il s’impatienta : « Bien sûr, lorsqu’un scribe montre deux
personnes ou deux dieux conversant ensemble, il les met face à face. Mais il y
a une règle de base : la majorité des caractères doivent être placés dans
le sens de la lecture. »
Je me sentis défaillir de honte.
« Vous n’avez même pas compris la règle la plus élémentaire de
l’écriture, me dit-il d’un ton cinglant, et vous avez l’effronterie de me
montrer ceci ». Il me jeta le cahier sans l’avoir déplié. « Demain,
pour votre premier cours, vous irez dans cette classe-là. » Il désigna des
élèves rassemblés sur la pelouse, près d’un pavillon. Mon visage se figea et
toute ma fierté s’évapora. Même à cette distance, je voyais bien que la plupart
des élèves avaient la moitié de mon âge.
Je fus mortifié de me trouver parmi des enfants, comme si personne ne
m’avait jamais rien appris et que je n’avais jamais travaillé tout seul. Par
conséquent, je fus ravi de découvrir que la classe de poésie n’était pas
divisée en plusieurs niveaux. Il y avait une assemblée unique
d’aspirants-poètes avec des étudiants de tous âges. Parmi eux, je vis le prince
Saule et son demi-frère, le prince héritier Fleur Noire. Il y avait des
gentilshommes très âgés, des femmes, des jeunes filles et plus d’esclaves que
dans les autres classes.
Le rang de la personne qui écrit un poème ne semble pas avoir
d’importance, ni le genre de ce poème : louange à un dieu ou à un héros,
récit historique interminable, chant d’amour, élégie, pièce satirique. On ne
juge pas un poème d’après l’âge, le sexe, le rang, l’éducation ou l’expérience
de son auteur. Un poème est ou il n’est pas. Il vit ou il n’a jamais existé. Il
reste dans les mémoires ou bien il est tout de suite oublié, comme s’il n’avait
jamais été composé. Je me contentais d’écouter, sans oser proposer des essais
poétiques de mon cru. Ce n’est que des années plus tard que j’écrivis un poème
que j’entendis ensuite réciter par des étrangers. Une seule chose, donc, est
restée de moi, mais ce n’était qu’une toute petite poésie, et je ne prétends
pas pour autant être un poète.
J’ai un très vif souvenir de mon premier cours de poésie. Le professeur
avait invité un visiteur de marque à lire ses œuvres et celui-ci venait tout
juste de commencer quand j’arrivai et m’assis derrière tout le monde sur un
rebord herbeux. De l’endroit où je me trouvais, je le distinguais mal, mais je
voyais qu’il était de taille moyenne, bien bâti, qu’il avait à peu près l’âge
de la Dame de Tolan et qu’il portait un manteau de coton richement brodé retenu
par une agrafe d’or et qu’il n’avait aucun ornement distinctif de sa classe ou
de sa fonction. Je pensais qu’il s’agissait d’un poète professionnel qui avait
suffisamment de talent pour avoir une pension et une charge à la cour.
Le visiteur prit plusieurs feuilles de papier d’écorce et en donna une
à un petit esclave assis en tailleur à ses pieds, qui tenait un tambour entre
ses bras. Puis il déclara d’une voix douce mais bien timbrée : « Avec
la permission du Seigneur Professeur, je ne vous lirai pas mes œuvres
aujourd’hui, mais celles d’un poète bien plus grand et bien plus
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